Un album. Pour aller vite. « Go Fast ». C’est son titre. Avec un compositeur qui souvent va aussi très vite. Un compositeur qui est un DJ. Un DJ qui fait très vite pour faire le tour du monde et le faire danser en mixant avec ses trois platines. Souvent. La vitesse qui griffe bien des visages jusqu’à les défigurer possède aussi quelques vertus. Et notamment celle de mettre tout créateur dans un état de transe ultime pour porter souvent un projet dans le sens de la hauteur. Faire vite et bien reste le plus difficile. Aller vite pour atteindre sa mission peut devenir périlleux.

« Go Fast », donc, est ainsi le titre du film d’Olivier Van Hoofstadt (le réalisateur de Dikkenek) qui devrait offrir au thriller français une nouvelle énergie et une vitesse de pointe presque capable de franchir le mur du son.

Le son, ici, c’est précisément celui de Agoria, prodige lumineux de la scène électronique française capable de télétransporter des dizaines de milliers de clubbers dans un état de bonheur ultime jusqu’à leur offrir des semelles de vent. Ce même DJ a composé et produit les deux albums nécessaires et indispensables pour s’immerger correctement dans le cœur complexe des musiques électroniques. « Blossom » en 2003 et « Green Armchair » en 2006 ont aguerri le petit bonhomme lyonnais qui s’est trouvé auréolé des plus belles étiquettes de saison qui soient : meilleur DJ avec Laurent Garnier en 2004, meilleur album de l’année pour France Inter en 2006, ambassadeur et DJ le plus renversant pour l’éternité des Nuits sonores de sa ville patrie, comme ce fut encore le cas cette année lors d’une battle de 7 heures avec le grand frangin Laurent Garnier. Les 15 000 danseurs présents sortirent essorés et bouleversés par ce dialogue intime et abrasif entre ces deux géants de la  planète électronique qui ont inventé la langue des platines. 
Tout ça donne effectivement envie d’aller toujours plus vite. Agoria est tout de même un garçon secret puisque lors de notre dernière rencontre aux Nuits sonores il nous avait caché ce projet de musique pour un film produit par le trio Emmanuel Prévost, Stéphane Lecomte et Luc Besson.

Ce film d’action met en scène ces fameux « go fasters », pilotes furieux de convois surpuissants, armés, et ayant à  bord chaque fois près d’une tonne de haschich et remontant à plus de 200 km heure les autoroutes européennes pour déjouer les forces de police. Il se trouve que les producteurs Emmanuel Prévost et Stéphane Lecomte ont écouté par hasard l’album de Agoria « Green Armchair ». Vite, cela ressemble à un coup de foudre, et ils décident illico de synchroniser deux scènes du film avec les morceaux  « Code 1026 » et « Europa ». Agoria demande à voir les scènes. Vite, il aime ça jusqu’à être sollicité pour composer toute la musique du film. Il paraît cependant qu’imaginer de la musique sur des images est un métier. Agoria va donc s’en rendre compte très vite puisqu’on va le lui faire remarquer.

Mais ce n’est pas grave puisque de fait il va s’employer à composer un nouvel album, qui pourrait devenir naturellement son troisième, simplement inspiré des images et du scénario du film « Go Fast ». Et ce n’est rien de dire que l’album « Go Fast » sonne comme une bombe sans retardement. De façon tout à fait inattendue Agoria va cette fois aller vite puiser l’inspiration sur les chemins de la gloire sans craindre les pièges de feu comme dans le film.

Ce disque est une poudrière tout en clair obscur avec des morceaux explosifs d’énergie cohabitant avec des plages si belles qu’elles vous donnent les yeux mouillés instantanément. Commencer un disque est tout un art. « Tender Storm » se glisse comme une plaque de glace réfléchissante où Agoria laisse parler son émotion d’enfant déjà en fuite.

La voix de sa mère chanteuse d’opéra le soulève et vient aspirer cette atmosphère lynchéenne pour un morceau d’anthologie « Altre Voci » qui s’équilibre entre mélo et angoisse. Le ton est donné. Il suffit dès lors de passer à la vitesse supérieure. C’est comme si l’on retrouvait alors Agoria dans sa posture favorite, derrière ses platines sautillant avec la grâce d’un marsupilami qui pourrait mixer ses propres titres ensemble.

« Memole Bua » qu’il enchaîne jusqu’à le fondre à l’affolant « Dust », tube baléarique de cette rentrée emmené par la voix ensorceleuse de Scalde, confrère lyonnais qui s’était fait largement remarquer par sa préciosité élégante et androgyne dans un premier album ovniesque.

Pas de hasard donc que cette voix sexy et triste à la fois donne envie de se taire quelques minutes, le temps aussi d’aller parcourir un morceau de transition extatique, « Eden », qui permet cette fois d’être bien en l’air, suffisamment perché pour retrouver Scalde et Agoria sur « Solarized ». C’est l’autre morceau de bravoure du disque qui pourrait faire le tour de la planète des platines et des amoureux. Entre le clavier et la voix le dialogue sensoriel est celui des grands inspirés. Deep, ce truc là vous colle à la peau et vous donne envie de croire qu’il est encore possible de composer des classiques dans la musique électronique.

« Last Breath » est le genre d’interlude qui vous rappelle que Agoria aime les violons ivres et surtout la pop déviante, celle qui transcende le morceau « Around the corner » avec la participation de David Walters, fils spirituel de Bob Marley et Tricky. Agoria a su commencer son disque. Il a réussi à le finir avec trois morceaux qui rappellent la singularité du compositeur de « Code 1026 » qui a fait de Lyon un Detroit français où la techno est unique parce que nourrie à Varèse autant qu’à Bauhaus ou Laurent Garnier.

« Go Fast » est le morceau introductif qui permet d’accéder aux vertiges de la vitesse du DJ coureur de fond qui en trouvant le meilleur beat et la meilleure harmonie compose une future anthem, « Diva Drive », qui nous fait immédiatement réaliser que Agoria n’a jamais laissé passer ses raves. La preuve, même celui qu’il avait, enfant, de travailler dans le cinéma et l’image, et que l’on croyait évacué, Agoria a fini par le rattraper.

Entre le rêve et la rave, Agoria s’est bien trouvé sans une lettre de différence. Le grand public va vite s’en rendre compte. Très vite. Oui, allez, vite ! Go fast !

Didier Varrod.

 

AGORIA – GO FAST sortie le 13 Octobre