Quand on parle de la musique de Calypso Valois, les mots se bousculent pour décrire cette pop orchestrale farouchement francophone, poétique et narrative. Auteur, compositeur, interprète, la jeune femme signe des mélodies entêtantes, tubesques sans avoir l’air d’y toucher, et des textes ciselés où elle lâche, presque négligemment, des formules à tomber : « Cette salope est belle comme le jour »… Elle y parle d’amour, de violence, de chair, de fratrie, de fête, d’ennui et de rupture, de la beauté du monde. La laideur, Calypso l’esthète préfère la laisser dans l’ombre.

Enfant, elle fait déjà preuve de goûts très affirmés. Elle pioche dans la discothèque de ses parents, les musiciens Elli & Jacno. Bouleversée par Chopin, épatée par Marvin Gaye, intriguée par Gainsbourg, cette petite fille insomniaque ne réussit à dormir qu’en écoutant le Velvet Underground… Et réclame des leçons de piano, d’habitude imposées par l’autorité parentale. Elle ne quitte plus cet instrument, sans pour autant lui être parfaitement fidèle. Car, si son entourage lui parle souvent de musique, pedigree oblige, elle s’y dérobe pendant longtemps. D’autres terrains la passionnent. L’art, qui l’émeut profondément : Delacroix, Caravage dont elle aime la violence, la peinture italienne. Parmi ses ancêtres, on compte des peintres, les Hallé, et un sculpteur, Achille Valois. Il y a aussi la littérature, qui l’imprègne depuis la petite enfance, quand sa grand-mère lui racontait les histoires de la Comtesse de Ségur. Stendhal, Flaubert, Balzac, Maupassant, Barbey D’Aurevilly, Pouchkine, Dostoïevski, Tchekov.… A l’instar de la musique, Calypso puise dans le classicisme pour forger un langage d’une modernité flamboyante – nourrie de son expérience sur scène, dès la fin de l’adolescence. Pour l’amour du texte, elle apprend la comédie dans des écoles de théâtre et, rapidement, le cinéma lui offre des rôles chez Olivier Assayas, Catherine Corsini ou Michel Gondry.

C’est pendant ces années entre jeu et réalité qu’elle forme au début des années 2010, avec Alexandre Chatelard, le groupe Cinéma. Sa rencontre avec le synthétiseur l’a décomplexée face à la composition, qu’elle jugeait sacrée jusque là. Les mots d’encouragement de son parrain, Etienne Daho, qui lui conseille de suivre son intuition et son appétence pour la pop, contribuent à cette nouvelle liberté. Le mot d’ordre de Cinéma : ne rien se laisser imposer, être radical. Le duo sort des singles remarqués mais, au bout de quelques saisons, le solo s’impose à Calypso. Enfin, elle peut s’exprimer dans toute sa singularité, tisser des sons autour de la verve de ses mots. Rapidement, elle fait appel aux talents de producteur de Yan Wagner. Ensemble, dans plusieurs studios parisiens, ils travaillent vite et bien, dialoguent via les notes, rient aussi, beaucoup : les affinités électives chères à Goethe comptent pour Calypso.

« Je ne peux pas faire de compromis, ce n’est pas acceptable dans l’art », affirme-t-elle. Fidèle à ses convictions, elle compose inlassablement, puis écrit – ses textes ne se contentent pas d’accompagner les mélodies, ils les habitent. Autre moyen d’expression, le visuel – primordial dans le corpus de Calypso. Elle souhaite que chaque image, chaque vidéo clip soit une petite œuvre d’art qui emporte le spectateur. En témoignent les réalisations de Christophe Honoré pour « Le Jour » et le travail visuel d’Antoine Carlier sur les pochettes de Cannibale, ultra graphique mais onirique. Le 7e art, on l’a compris, fait partie intégrante de l’univers de Calypso – de Truffaut à Visconti, de Carax à Polanski en passant par Lynch. Le plus grand de son inspiration, elle la trouve dans les musiques de films de Georges Delerue, Antoine Duhamel, Ennio Morricone ou Vladimir Cosma. Tous s’entendent dans ce premier album où rien n’est laissé au hasard et pourtant fruit d’une composition spontanée. Puisant dans la sensualité des années 70, le foisonnement de la musique lyrique et effleurant, ici et là, aussi bien l’urbanité des années 90 que le ludique eighties, Cannibale se réinvente à chaque titre. Sans jamais se perdre en chemin, grâce à un chant à la fois distant et chaleureux qui laisse place aux fantasmes et aux projections.

Lorsque Calypso nous parle avec ferveur de Barbara, Marie Laforêt, Brigitte Fontaine ou encore Françoise Hardy, on réalise qu’elle partage avec ces icônes un sens inné de l’élégance. Ce chic rare et précieux, assorti d’un véritable instinct mélodique, font de Cannibale le plus beau disque de pop française de l’année