Apparus pour la première fois sur une
des compilations KITSUNE MAISON avec leur single I LOVE LONDON, voici
l’un des groupes les plus excitants du moment en Angleterre. Basés à
Londres, mais influencés par la musique folk en provenance du pays
Basque (ils mêlent à leur ‘folk tronica’ des sons d’instruments
traditionnels Basques tels que la txalaparta, le tabor, ou encore le
txistu, une sorte de sifflet), ils vont jusqu’à intégrer des éléments
de la culture et du folklore Basque dans leurs visuels et leurs vidéos
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Chaque groupe croit que ce qu’il fait est unique, mais peu, voire aucun, n’a autant le droit de revendiquer cela que Crystal Fighters. Enfin, à moins que vous ne connaissiez beaucoup d’autres groupes qui fassent fusionner la musique folklorique traditionnelle de la région basque et la dance la plus contemporaine, en utilisant aussi bien la technologie de pointe que des instruments traditionnels de cette partie de l’Espagne du Nord comme la txalaparta et le txistu, et dont le premier album est basé sur un opéra inachevé parlant de la nature de l’existence et du sens de l’amour, écrit par le grand-père d’un de ses membres au cours son agonie finale causée par une grave dépression nerveuse.

Il faut reconnaître, et c’est tout à leur honneur, que les Crystal Fighters ont réussi, à partir d’un matériau brut aussi ésotérique, à façonner un album dance extrêmement accessible, rempli de rythmes irrésistibles, de mélodies aux allures d’hymnes et de refrains à reprendre en chœur. Star Of Love – qui a été assemblé durant un an à partir d’idées musicales, de beats, d’accords et de paroles de provenances les plus diverses, souvent développés au cours de leurs concerts expérimentaux et explosifs - présente 11 des chansons les plus merveilleusement mélodieuses, exotiques et euphoriques sorties en 2010. Le fait qu’il puisse être apprécié aussi bien comme une suite de morceaux destinés à enflammer les clubs que comme une série d’explorations des thèmes de l’amour et de la haine, de la folie et de la mort, de la confusion et de l’espoir, ne peut que renforcer son attrait.

Les Crystal Fighters ont déjà démontré l’attrait de leur musique. Deux fois ‘Disque de la semaine’ sur BBC Radio 1 avec ‘Xtatic Truth’ et ‘In The Summer’ ; des passages à Later with Jools Holland ; de super chroniques d’album dans Q, Mojo, Mixmag et autres ; une tournée avec Foals ; et plus encore, tout cela contribuant à confirmer leur statut d’artistes très demandés.

Qui sont donc les mystérieux individus qui se cachent derrière le nom de Crystal Fighters ? Sortez de l’ombre, Sebastian, Gilbert et Graham, ainsi que Mimi et Laure au chant. Comme ils ne sont pas fans du culte de la personnalité, on sait peu de choses sur eux, d’où ils sont ou quelles sont leurs origines – ça ne les dérange pas de conserver un peu de mystère, tout particulièrement en cette époque de surmédiatisation où il est difficile de garder des secrets. Il suffit de dire qu’ils ont, individuellement, exploré tout l’éventail des sous-genres musicaux et de leurs scènes associées, de la techno au punk en passant par le dub et la drum’n’bass, et qu’ils mettent ces nombreuses expériences et influences au service des Crystal Fighters.

Ils décrivent ce qu’ils font, dans les termes les plus simples qui soient, comme “de la dance music rapide avec des instruments basques, des synthétiseurs et des voix”. La diversité de leur musique est mise en évidence sur leurs disques, mais peut-être encore plus en concert, où Sebastian - au milieu de la scène avec sa guitare acoustique et son tambourin - est flanqué d’un côté de Graham à la guitare électrique et de l’autre, de Gilbert avec sa table remplie d’ordinateurs et de claviers électroniques.

Mais les instruments clés, au milieu de cette furieuse mêlée scénique, sont les txalapartas, placés entre Graham et Gilbert, dont ils jouent à l’unisson. Ils sont fondamentaux dans les concerts, le son du bois contre le bois frappé en un rythme frénétique à quatre mains carillonnant par-dessus l’harmonieux grabuge avec une autorité totalement primitive. “Les gens aiment notre énergie en concert,” dit Gilbert, qui fait clairement une distinction entre le rush énergétique des Crystal Fighters sur scène et les “subtilités et les mélodies” de leurs enregistrements.

Les concerts des Crystal Fighters sont connus pour être intenses, noceurs et chaotiques, mais pleins d’une beauté fascinante. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient devenus des piliers du circuit des concerts et des festivals, avec des apparitions en tête d’affiche un peu partout en Europe, en Amérique et au Japon. “En concert, nous sommes plutôt punks et désordonnés, sur disques beaucoup moins,” conclut Graham. C’est en concert que la collision entre passé et avenir – entre l’exotisme et le mystère basque et le côté novateur de la techno et de la dance – est la plus frappante.

Et c’est sur disque que leurs propriétés hallucinogènes deviennent évidentes : le graphisme psychédélique de l’album et le sentiment général d’exploration visionnaire contenu dans les textes et dans la musique indiquent la présence d’un élément cosmique chez Crystal Fighters. Leur nom est tiré de celui du manuscrit de l’opéra à moitié terminé laissé derrière lui par Bakar, le grand-père de Laure - amie et chanteuse occasionnelle du groupe - alors qu’il luttait pour ne pas perdre pied face au supplice mental qu’il endurait dans les derniers temps de sa vie. Tombée dessus alors qu’elle nettoyait la maison du vieil homme solitaire, isolée dans la campagne basque, elle s’est rapidement retrouvée obsédée par les écrits énigmatiques qu’il contenait. Transporté par le contenu apparemment  prophétique de ce travail formateur, le groupe lui a emprunté son nom et a développé son esprit sauvage et dérangé.

Chaque chanson de Star Of Love – acronyme de SOL, “soleil” en espagnol – est basée, dans une plus ou moins large mesure, sur cet opéra et sur les images d’angoisse et de morosité, ainsi que sur le langage de la mémoire et du désir dont il a été imprégné. Les Crystal Fighters lui ont conféré leur propre aura : il y a une sorte d’éclat surnaturel, ou de luminosité étrange, dans les chansons qu’ils ont créées à partir du manuscrit. Ce qui est loin d’être surprenant quand on considère le sujet de l’œuvre originale. Champion Sound saisit l’incertitude qu’entraîne un amour effréné. Solar System imagine l’âme comme un système solaire. Elle est basée sur une esquisse réalisée par Bakar, qui comprend les visages de ses anciennes amoureuses dessinés sur les planètes, lui-même en étant le centre désespéré, le soleil. In The Summer capture l’intensité extatique d’une ville baignée de soleil.

La musique est tout aussi ‘extasiée-avec-quelque-chose-de-tendu’, une collision jubilatoire entre la maîtrise musicale héritée du vieux monde et l’électronique du futur, le folk et le funk des ordinateurs et des synthétiseurs scintillants, des percussions à l’énergie punk et de brusques montées de vocaux à l’unisson. C’est ici que le mouvement de la jeunesse espagnole des années 1980  “anti-todo” (littéralement “anti-tout”) rencontre le rush enthousiaste de la dance et de l’electro modernes. C’est un folk électronique festif et percussif, étayé par un son de basse venu du Londres d’aujourd’hui. A chaque instant, il y a une sensation de surcharge, comme si les chansons étaient prêtes à exploser – avec une invention sonore et une joie qui menacent de tout engloutir. Si des liens existent entre ce que font les Crystal Fighters, le mouvement acid rock de la fin des sixties et l’acid house de la fin 1980-début 1990, c’est parce qu’ils ont en commun une aspiration à la transcendance et à l’expérience extatique partagée.

“Nos chansons traitent de thèmes dépassant ‘ma petite amie m’a largué’,” dit Gilbert, fasciné par l’évolution des scènes musicales et par la possibilité d’un ‘avenir sans-genre.’ “Elles parlent moins de ‘Je t’aime’ que de la signification du concept lui-même.” Les Crystal Fighters réalisent que certains vont utiliser leur musique comme un élément de leur recherche nocturne de béatitude, mais ils insistent sur le fait qu’elle est plus que la simple bande son d’une fête ou d’un after. Elle célèbre le peuple basque, les mythes et les mystères de sa culture. Elle explore, à travers les sons, les mots et les visuels (changements de costumes, images projetées pendant les concerts), l’héritage de la région et recherche le sens et la mélancolie cachés derrière ces chansons faites pour danser.

Et finalement, elle s’efforce d’apporter chez nous un peu d’étrangeté venue de cette Espagne du nord – I Love London parle d’une fille basque appelée Mimi qui se retrouve dans la capitale, savourant cette sensation presque surréaliste de bouleversement. Cette image d’une fille basque à la dérive dans Londres définit presque tout ce dont parle Crystal Fighters. La femme de ce pays isolé, avec ses anciennes mythologies, apporte son identité particulière et affecte notre culture agnostique moderniste. Et si ça a l’air lourd, la musique ne pourrait pas être plus légère, un véritable rush rythmique alors que Mimi parcourt les banlieues et pousse des cris de joie à chaque station qu’elle dépasse en trombe : Willesden ! Harlesden ! Watford Junction !

C’est un pur plaisir, comme tout ce que fait Crystal Fighters. Provenant d’un endroit situé très haut au-dessus des vieilles collines de leur pays, c’est un amour qui nous arrive pour tout conquérir.

Paul Lester