Sur la pochette d’Anastasis, le premier album de Dead Can Dance depuis seize ans : un champ de tournesols, en fleurs, puis brûlés par le soleil, leurs tristes têtes légèrement couronnées. Plus dormants que morts, leurs pétales et leurs tiges seront un jour coupées, mais grâce à leurs racines, ils renaîtront. Car Anastasis est un mot grec qui signifie ‘résurrection’ : ce qui est apparemment mort dansera à nouveau.

“J’ai pensé qu’Anastasis était un bon titre, évoquant nos retrouvailles,” explique Brendan Perry, qui, avec Lisa Gerrard, a formé le groupe à Melbourne, en Australie, en 1981. Dead Can Dance a publié sept albums studio et un live, avant de se séparer en 1996, après la sortie de Spiritchaser. “Anastasis signifie également ‘entre deux phases’,” ajoute-t-il. “La régénération arrive avec la nouvelle saison.”

Anastasis est un mot parfaitement approprié, puisque l’album est une incroyable régénération de la beauté légendaire, de la puissance et de la nature envoûtante du son unique du duo. L’âge et le passage des années n’ont pas vu DCD se flétrir ; au contraire, l’album est plus audacieux que jamais, plus fort, plus confiant dans sa vision. Il n’existe sûrement sur la planète aucune force musicale aussi imposante et fascinante, combinant si facilement le spirituel et le terrestre avec une musique qui n’est associée à aucun siècle en particulier et se promène librement entre les époques et les continents.

Il y a eu de sublimes albums solo de Gerrard et de Perry, avant Spiritchaser et depuis ce final involontaire (les séances de l’album suivant ont finalement été abandonnées), mais il y a quelque chose d’imbattable dans l’association des ces deux esprits musicaux et de ces deux voix ; deux voix qui, ne l’oublions pas, sont de brillantes forces de la nature à part entière. Gerrard chante, dans sa Glossolalie sans mots, la partie principale de quatre morceaux, “Anabasis”, “Agape”, “Kiko” et “Return of the She-King”, tandis que Perry interprète les quatre autres, “Children of the Sun”, “Amnesia“, “Opium“ et “All In Good Time”, dont les textes épousent les fois et les espoirs de l’humanité, tout en tenant compte de nos limitations, de nos faiblesses et de nos habitudes.

“Children of the Sun” est une déclaration de ‘bienvenue dans le show’, dit Perry. Le texte aborde l’évolution humaine et la façon dont une notre code génétique est pétri d’une mémoire ancestrale qui court jusqu’à aujourd’hui, et célèbre la nature – l’héritage de la génération Woodstock. “Amnesia” mêle le thème de l’amnésie sociale collective de l’humanité – “comment les vainqueurs écrivent toujours l’histoire et comment, si nous retenions la vérité, nous ne referions pas sans cesse les mêmes erreurs” – et la façon dont nous dépendons de nos mémoires pour notre humanité : les Grecs voyaient en la mémoire la plus grande de toutes les muses.

“Opium”, selon Perry, est plus nihiliste, “cet état d’esprit opiacé, une forme de dépression qui vous prend au piège, due à l’addiction ou simplement aux circonstances. Ne pas être capable de choisir une voie car elles semblent toutes ne conduire nulle part.” Mais “All In Good Time” est un final positif, soulignant le vieil adage selon lequel tout vient à point à qui sait attendre ; alors que nous avançons en âge et en expérience, nous comprenons le bénéfice qu’il y a à ne pas s’attendre à ce que tout arrive en même temps.
Le mot grec qui représente l’album dérive aussi des origines de cette musique. Alors que Perry entend des échos du passé de DCD, “à travers tout notre catalogue,” il pense que l’âme d’Anastasis se trouve en plein Proche-Orient méditerranéen, entre la Grèce, la Turquie et l’Afrique du Nord. “La musique que j’écoute et sur laquelle je fais des recherches devient, consciemment et inconsciemment, partie prenante de tout nouveau projet, et pour cet album, j’ai été fasciné par les éléments classiques et immuables de la culture grecque, par la profondeur de leur musique et par leur amour de la chanson, qu’on ne retrouve pas en occident ; la façon dont ils combinent la philosophie et les chansons d’amour, et rajoutent aussi à tout ça un peu de science. J’adore l’influence orientale, qui provient du fait d’être un carrefour entre l’est et l’ouest, et la mosaïque kaléidoscopique de ces cultures fusionnées, alors que plus on va vers l’ouest, plus la société est mono-culturelle.“

“L’instrumentation avec laquelle nous choisissons de travailler implique elle aussi ce que la musique doit devenir. “Opium” utilise un rythme soufi marocain en 6/8 et “Anabasis” emploie le Hang, un croisement entre le steel drum antillais et un gamelan.”

Perry dit que le duo parlait de faire un nouvel album depuis la deuxième tournée mondiale de Dead Can Dance, en 2005. Mais cette longue tournée a été épuisante, et la motivation n’étant pas suffisante, le projet a été mis en veilleuse jusqu’à ce que leurs calendriers puissent à nouveau se synchroniser – pas si facile, puisque Perry vit dans le centre de l’Irlande, le pays de ses ancêtres, où Anastasis a été enregistré (dans le studio de Perry, Quivvy, une église reconvertie) et que Gerrard vit dans le sud de l’Australie. Un jour, ils ont quitté Melbourne pour Londres, investissant plusieurs étages d’un HLM et mettant le peu qu’ils avaient dans leur musique.

Signés par 4AD, le duo a sorti son premier album en 1984 et s’est attiré des critiques enthousiastes avec des disques qui intégraient néo-classique et folk, et se jouaient du temps et de la géographie. Chaque album se vendait à un public de plus en plus large, le côté théâtral et émotionnel de leur musique attirant l’attention du ballet de San Francisco, des parfums Hermes et d’un documentaire sur Hitler et Staline ; et également de films comme Heat, The Crossing Guard et Baraka. Gerrard a ensuite développé l’écriture de ses propres musiques de films – comme par exemple The Gladiator et The Insider – tandis que Perry travaillait sur des albums solo comme Eye Of the Hunter en 1999 et Ark en 2008. Le couple s’est séparé dans les années 1990, mais quelque chose les liait pour toujours – une amitié, une compatibilité et une compréhension musicale profondes. Anastasis est né, et Dead Can Dance régénéré.

Libre de tout engagement contractuel vis à vis de 4AD, DCD s’est associé avec Play It Again Sam, qui sort Anastasis juste avant la plus grande tournée mondiale du duo, qui débutera à Vancouver le 9 août et visitera quatre continents tout au long de 2012 et de 2013.
Et quand la tournée sera finie, Perry prévoit de sortir un nouvel album studio de DCD. Le tournesol revient, saison après saison ; il n’y a aucune raison que Dead Can Dance, son esprit ravivé et son âme régénérée, n’en fasse pas autant.

Martin Aston, juin 2012