Grace Jones sera en concert exceptionnel le 22 mars 2009 au Grand Rex à Paris

Voici Grace, toujours Grace, la seule et unique Grace, l’originale, le corps, le désir, le visage, regardez sa réaction, regardez notre réaction. Elle est Grace, difficile à cerner, elle n’existe plus, elle est juste là, immortelle et éclatante, invisible et ne s’arrêtant jamais, arrivant d’un endroit et d’une époque choisis par elle, d’un autre monde, de sa propre place dans l’histoire, environ trente ans depuis qu’elle a commencé à chanter des chansons et à faire des disques, aussi âgée soit-elle, aussi jeune soit-elle, aussi prête soit-elle pour le moment où elle va recommencer à être Grace. Aussitôt qu’elle a cessé d’être Grace, elle a tout recommencé, étonnée par ce qu’elle découvrait, pour pouvoir nous étonner à son tour, et disparaître.C’est le petit matin. Elle est là, dans une pièce sans fenêtre en sous-sol, dans le quartier est d’une ville qui est devenue l’un de ses domiciles. Il semble bientôt ne plus y avoir d’extérieur à ce bâtiment. Elle a fait disparaître le monde pendant un temps. Elle m’a demandé de la rejoindre. Il y a certaines choses qu’elle veut dire. Elle a terminé un nouvel album, son premier depuis quelques temps qui, entre autre, nous emmène dans une excursion à travers le temps, nous retient sur place, tout en nous faisant nous laisser aller, nous relie et nous sépare. Ça ressemble à un album qu’elle aurait pu faire autrefois, quand elle était plus jeune, passant à grandes enjambées de pays en pays, d’un magazine à une séance de pose, d’un club à une ville puis à une autre, d’un remix en maxi single à la scène, de la télévision au grand écran, de l’infamie à au-delà, mais aussi à un album qu’elle n’aurait pu faire qu’aujourd’hui, ou dans le futur. C’est la magie d’une Grace plus jeune, mélangée à la magie d’une Grace plus actuelle. Il s’appelle Hurricane parce qu’il est “lourd, puissant et qu’on le prend en pleine gueule”. Elle l’a produit avec Ivor Guest et Ant Genn, ça leur a pris tout le temps du monde pour le faire, et pas de temps du tout, on y retrouve des contributions de Tricky, Brian Eno, Sly and Robbie, du jeune guitariste Leo Ross, et du percussionniste Tony Allen (Fela Kuti/ The Good, the Bad and the Queen), “nous faisions tous partie du même rêve, un rêve qui devient la réalité qui devient un rêve,” il donne un compte rendu de son histoire, s’y introduit et illumine son avenir, son nom et son génie. Il était prévu qu’il sorte en 2006, ce qui aurait été une sorte d’anniversaire, puis il a été presque prêt pour 2007, ce qui aurait aussi fait trente ans depuis une chose ou une autre, et maintenant, elle en est sûre, il va sortir en 2008. “J’aime le 8. C’est deux cercles complets, ce que j’adore”.On ne le dirait pas aujourd’hui, mais quand elle a commencé à chanter professionnellement, en studio, elle était bloquée, elle tremblait, elle ne pouvait pas émettre un son, elle n’avait pas trouvé sa voix, elle ne savait même pas si elle en avait une. Elle essayait de chanter comme d’autres chanteurs, parce qu’on lui avait dit de le faire, mais elle ne pouvait pas sonner comme quelqu’un d’autre. “J’étais très timide. Mais je pensais, je veux vraiment faire ça. Je dois faire ça. Je chantais sous la table pour que les gens du studio ne puissent pas me voir. Ça a été une nouvelle naissance pour moi”. Quand elle a réussi à chanter, Grace est apparue, âme perdue, esprit actif, tendue vers l’avant, dansant comme une furie, prononçant des mots, produisant des rythmes et manipulant des mélodies dans un monde bien à elle. Son premier album (en 1977) de top model exotique menaçant au passé traumatisant devenue diva disco s’appelait Portfolio. Étrangement construit, puissant et déterminé, flamboyant et sans complexe : avec sa voix profonde et tendre, pénétrant de façon exquise l’essence de la douleur et du plaisir, elle se fait alors connaître comme la Reine des Discothèques Gay.  Portfolio est sorti après qu’elle soit devenue un top model international au début des années 1970, faisant les couvertures de Vogue et de Elle. Elle était devenue mannequin après avoir brièvement étudié le théâtre à l’Université de Syracuse à l’âge de 17 ans, avoir déménagé à Philadelphie, puis à New York, où, dit-on, elle s’est rasé la tête, a posé nue pour des étudiants en peinture et a essayé de devenir danseuse de boîte de nuit. Elle a passé des auditions pour des films de black exploitation, alors très en vogue. “J’arrivais toujours deuxième. On me rappelait toujours, j’y étais presque, mais pas tout à fait. Il y avait beaucoup de compétition et mon visage ne collait pas. Mon visage était spécial et c’était très difficile de trouver du travail”. Elle a continué à avancer. “Certaines personnes ont besoin de se sentir en sécurité avant de se mettre en route. J’ai juste continué à avancer. J’ai continué à suivre la route du bonheur. J’ai juste tendu le pouce”. Alors qu’elle se fondait dans la nuit chargée de tension et dans l’ivresse de New York, comme on dit, elle a été photographiée à plusieurs reprises par Andy Warhol, qui a remarqué, parmi d’autres choses, que l’air autour d’elle était toujours électrique, que ses yeux étaient menaçants et sa peau éblouissante. Ensemble, ils allaient au Studio 54, s’acceptant l’un l’autre, à l’affût de sensations, observant comment le business de l’argent et du sexe se mélangeait avec quelque chose de primitif et de profond, se confiant l’un à l’autre des secrets sur la façon de bien se comporter en public, et de mal se comporter en privé. “J’étais très sauvage, puérile et gâtée. Je voulais certaines choses et je les voulais tout de suite. J’avais cette attitude montrant que rien ne m’arrêterait”. Elle va à Paris via le Luxembourg en stop. Elle se fait connaître.   Avant tout ça, elle était née à Spanish Town, en Jamaïque, fille du Révérend Robert Jones et de Majorie Jones. Son frère jumeau s’appelait Christian. La famille était pentecôtiste. C’était une éducation extrêmement stricte. Les passions d’un certain ordre étaient totalement réfrénées. Elle était prisonnière des réconforts mystérieux et des rituels immuables de l’église et a violemment réagi contre tout ça. Elle a eu une enfance, dit-elle, qui n’en était pas une. Elle était contaminée par quelque chose de macabre existant dans les Caraïbes. On pouvait entendre les tambours au loin. La famille a déménagé à Syracuse quand elle avait treize ans. Au lycée, on l’a déclarée “socialement malade”. Elle se souvient clairement de la satisfaction qu’elle avait à être méchante. De la culpabilité comme un demi-triomphe. Elle a tout absorbé et elle a été prête pour l’action. Elle a découvert les attraits et les séductions d’un monde dont l’accès lui avait jusque là été refusé. Elle a rattrapé le temps perdu: elle s’est embarquée dans un voyage fantastique à travers l’espace, le temps et la sexualité.Elle a trouvé sa voix, ses voix, son visage, et ses visages. Les albums de plus en plus étranges qui ont suivi Portfolio s’appelaient Fame, Muse, Warm Leatherette et Nightclubbing. Dans une certaine mesure, ils traitaient tous d’expériences sexuelles, d’amour éperdu et de souffrances extatiques. Un journal musical a dit que le glacial, croustillant et lascif Nightclubbing (1981), qui combinait des chansons écrites par Bowie, Iggy et Sting avec la section rythmique « Jamagique » de Sly and Robbie, ‘a changé le visage de la dance music’. Keith Haring a peint sa vitesse et sa peau scandaleuses.Chris Blackwell l’a dénichée et a trouvé un son qui reflétait ce qu’elle avait dans sa tête et dans son cœur sous une forme noble et cristalline.Helmut Newton a photographié ses yeux, sa respiration et ses os. Il a dit, tu as les plus superbes des jambes. Il adorait ses chevilles.Jean-Paul Goude a déconstruit son amour-propre, son esprit et son corps, a exposé le puzzle, a relevé ses sourcils, a adoré la femme. Elle a avalé des voitures, giflé des animateurs de talk-shows, enjambé des montagnes, combattu des démons, conquis l’espace, traversé les années 80 en trombe, fait ce qu’elle avait dit, lu dans nos pensées, affronté James Bond à demi-nue et eu des hauts et des bas érotiques, spirituels et conjugaux. “Je suppose que j’avais un look plutôt sexy, j’étais forte et je me foutais vraiment de tout.”Les albums qui ont suivi Nightclubbing dans les années 1980: Living My Life, Island Life, Slave to the Rhythm (1985) – une comédie musicale électro vive et fiévreuse sur la vie et l’aura de mystique de Grace Jones avec, en vedette, Grace Jones - Bulletproof Heart et Inside Story. Il y a d’autres personnes avec nous dans la pièce, parce qu’elle a décidé de ce qu’elle voulait faire, elle veut filmer la conversation que nous allons avoir, pour qu’elle soit fixée dans le temps, ce qui veut dire, d’une certaine façon, placée hors du temps. Elle mijote quelque chose, ce qui est toujours bon signe pour ceux d’entre nous qui ont observé Grace Jones depuis le début, la voyant et l’entendant travailler et jouer, être photographiée et réarrangée, créée et recréée, préparant des performances, provoquant divers chocs surréalistes, des tempêtes d’énergie, interprétant des chansons soul fracturées et pressurisées traitant du risque derrière chaque décision que nous prenons, de la façon dont les choses sont vraiment, des étranges tournants que prend la vie, trouvant de nouvelles façons de se déplacer à travers le monde, s’ouvrant à la différence et à l’étranger qui sont à la fois autour de nous et en nous.Elle écrit une histoire et l’appelle “Grace Jones”. Elle se nomme elle-même pour que nous connaissions son nom, ce qui pourrait nous aider à nous souvenir de qui elle est et de qui elle devient, en relation avec nos propres vies. Elle écrit sur sa vie comme une succession d’événements et d’aventures, d’hommes et de femmes, de vies et de morts, de masques et de souvenirs, d’endroits imaginaires et d’états d’esprit, d’autres aventures et de rites de passage qu’elle a traversés, qui constituent une sorte d’histoire mystérieuse parlant d’identité et de passé. Nous n’avons jamais vraiment assez d’information, mais nous en avons suffisamment pour nous pousser à vouloir continuer à regarder, et à écouter, pour chercher des indices dévoilant qui elle est vraiment, et ce qu’elle a en tête.Le temps s’arrête quand elle le décide. Le monde est ce qu’elle veut qu’il soit. Elle invente une série de Grace Jones possibles. Bonne et méchante; maîtresse et penseuse; chanteuse et rêveuse; fille et mère; objet et nomade; mystique et célébrité; disco et punk; New York et Jamaïque; enfant et extraterrestre; morte et vivante; actrice et mannequin; perdue et retrouvée; animale et minérale; homme et femme;  sauvage et sublime; ancienne et moderne; esprit et machine; romantique et comédienne; claire et opaque; solitaire et meneuse; légende et ancêtre; innocente et damnée; guérisseuse et hédoniste; sœur et sensualiste; Afrique et Europe; concrète et abstraite; criminelle et illusionniste; star et expérience; revêche et luxuriante; agitée et stable; réfléchie et bagarreuse; irresponsable et généreuse; sans foi ni loi et pieuse;   fiction et réalité; capricieuse et profonde; muette et bruyante;  précise et approximative; scène et écran; début et fin; Grace et Grace.Elle s’invente elle-même, si bien que dans cette pièce en sous-sol, il y a au moins deux elle-même, la réelle et son reflet, la vérité et l’image, l’être humain et le miroir. Une ombre devient forme. La forme jette une ombre que vous reconnaîtriez n’importe où. Entourée d’une montagne de produits de beauté de grand prix, elle cherche le bon dosage de poudre, de couleur, de texture, d’hydratation, de gloss et de chatoiement qui lui permette de reproduire le visage que nous pourrons tous identifier comme celui de Grace et de personne d’autre que Grace, remplaçant l’absence par la présence, ou le privé par le public, ou un souvenir par un instant. Je regarde son visage devenir celui de Grace, la Grace qui est apparue de la Grace qui se retire. La Grace que nous pensons connaître et la Grace qu’elle est peut-être coïncident dans l’espace et le temps. Voici Grace, utilisant rouge à lèvres et fard à joues pour résoudre le mystère qu’elle représente. Grace, s’inventant elle-même devant nos yeux. Grace, là.Elle prend une identité, cachant quelque chose d’elle tout en révélant autre chose. Elle se peint, se remplit elle-même, crée l’impression d’une expression, devient Grace, peu changée depuis que nous avons vu pour la première fois l’ombre de son visage féroce passer rapidement en fondu enchaîné à la surface des années 1970. Elle était là, et maintenant elle est ici, peut-être pour expliquer où elle était, et où elle va. Ils disent qu’elle a soixante ans, mais je ne les crois pas. Elle ne le croit pas elle-même, parce qu’elle ne croit pas réellement à quoi que ce soit. Ils disent qu’elle a contemplé au dehors, par une fenêtre, un désert, ou une ville, ou l’océan, ou les étoiles, ou la première lumière dorée du matin, ou une image d’elle-même, pendant des centaines d’années, ce qui est peut-être plus prêt de la vérité. Elle est née devant moi. Il y a un air dans son œil qui montre de façon évidente qu’elle veut que quelque chose se passe. Elle veut découvrir qui elle est et d’où elle vient. Elle veut chanter des chansons à propos de qui elle est et d’où elle vient. Des chansons conscientes de manière surnaturelle, aussi fabuleuses que le monde, qui s’étendent autour d’elle en trois dimensions. Elle a faim. Elle mange des huîtres, avec un plaisir évident. Voici Grace, demandant la sauce chili épicée pour en verser dans son huître. Elle a soif. Elle boit du champagne, et du vin rouge, et du café. Le représentant de sa nouvelle maison de disque, Wall of Sound, admet que c’est quelque chose qu’il n’a auparavant jamais eu à faire pour aucun de ses artistes : aller chercher du champagne, des huîtres, et un vin rouge voluptueux, pas donné, qui satisferait le plus fin des palais.Il fait nuit. Sous les étoiles, Grace a besoin de se changer, pour achever sa transformation d’avant à après, de solide à liquide. Elle choisit quelque chose dans l’immense valise remplie de vêtements et de costumes qui la suit partout dans le monde tandis qu’elle se promène d’instants en instants, de telle sorte qu’en toute occasion, quelle que soit l’heure, quiconque soit avec elle, dans n’importe quelle pièce, ou en plein air, elle ait à sa disposition la bonne combinaison de formes, de couleurs et de textures. Elle se glisse dans le splendide tissu approprié et place sur sa tête des couches d’or ondulantes qui la couvrent religieusement et de manière provocante, de l’or éclatant qui coule sur ses épaules. Elle a l’air prêt à animer une antique cérémonie occulte qui pourrait conduire à la disparition du ciel et à l’apparition d’un vaisseau spatial. Elle se met sur son trente et un parce qu’elle est heureuse de jouer le rôle de la déesse du spectacle,  parce qu’elle est sur le point de jouer, parce qu’elle a besoin du monde, ou des quelques personnes qui sont avec elle dans ce sous-sol et de ceux qui pourraient voir le film de ce qui se passe, pour savoir qu’elle est qui elle est. Grace, éternelle.
Le premier morceau, c’est « This Is ». Me voilà, prête à tout, c’est une histoire que je n’ai pas inventée, c’est ma voix, mon arme de choix, voici Grace, se déchaînant, pose ta lance, débarrasse-toi de tes peurs, c’est « rêves et réalités, conflits et guerre, danger et désespoir, choses compliquées contre choses simples, ceci est une assiette, ceci est une tasse. C’est le son du disque que je voulais, que j’avais toujours entendu, l’idée visuelle de la musique, tu n’as même pas besoin de paroles, la musique se retire et tu obtiens cette profondeur de sons atmosphériques que tu peux remplir d’émotions et d’espace, et le passé, le présent et le futur se déroulent en même temps, c’est ce sentiment tri-dimensionnel que je voulais obtenir. »

Deuxième chanson, « Williams’ Blood », un morceau né à l’époque de Trevor Horn, travaillé avec Wendy et Lisa, la vie tumultueuse et déchirée de Grace : « ça parle de rivalité entre frères et sœurs, d’être partagée entre les deux côtés d’une famille en conflit, entre Dieu et le diable, j’essaie de comprendre, et je n’ai toujours pas trouvé, si je suis Jones ou Williams ou quelle sorte de mélange des deux. Lequel est le plus fort ? Y-a-t-il un côté plus fort ? En ce moment, j’ai le sang de Williams en moi, mais est-ce que ça sera toujours le cas ? Et le côté Jones, le côté religieux, disent-ils, oh tu as le diable en toi. Et j’ai toujours été tirée des deux côtés. Ma mère était une Williams, c’est le côté sauvage, très doué, ceux qui se consument, vont en enfer. Son grand-père par alliance était musicien, toujours en tournée, courant les femmes, buvant, il avait été sur la route avec Nat King Cole, c’est le côté qui a fait de moi une Casanova féminine ou quoi que ce soit de ce genre. Et ma mère disait toujours, si tu continues comme ça, tu finiras par mourir jeune comme mon grand-père. Tu vis trop vite. Tu dois épouser un évêque, devenir missionnaire. Peut-être le fait de m’être entendu dire sans cesse que je mourrais jeune a-t-il fait que, finalement, ça n’a pas été le cas. »
A la fin de la chanson, vous l’entendez chanter « Amazing Grace » avec sa mère. « Elle a une voix incroyable et c’est l’une de ses chansons préférées. Nous avons fait sonner sa voix comme si elle venait des années 40. Elle chantait des chœurs pour moi dans les années 70, mais je ne pouvais jamais le mentionner parce qu’en tant que femme d’évêque, elle n’était pas supposée chanter la musique du diable. »

La troisième, « Corporate Cannibal », terriblement en colère, toutes dents dehors, intrépide, combative, que rien ne pourra arrêter, a commencé comme « Corporate Abuse », une chanson expliquant pourquoi elle a longtemps arrêté de faire de la musique, comment le business et les attentes commerciales minaient sans cesse la façon dont elle aime travailler, parlant des  « choses qui détruisent complètement le processus créatif. »

Quatre, « I’m Crying », une autre Grace, la Grace qui grandit toujours, la Grace enfant, enfant de Dieu et du chaos, rêve et réalité, homme et femme, « ce n’est pas moi qui pleure, c’est ma mère. En fait, elle pleure à l’intérieur, donc ce n’est pas ma mère qui pleure, c’est mon père qui pleure pour ma mère. Et la chanson parle de ma mère et de ma grand-mère, je passe de l’une à l’autre et donc, parfois, dans la chanson, ma mère est ma grand-mère et ma grand-mère est ma mère. Je suppose que ma grand-mère était parfois comme ma mère donc elles s’amalgament dans mon esprit et j’ai du mal à les séparer. »

« Well, Well, Well » , numéro cinq, une envolée dans les fantasmes, les instincts agressifs, située dans le monde réel, écrite avec Barry Reynolds, une chanson parlant de courir au désastre, une main sur le volant, l’autre sur les yeux, une chanson parlant « d’être perdu et d’avoir besoin d’aide, de jeter les mains en l’air quand tout semble fini et d’avoir besoin de revenir chez soi, où on peut s’échouer et comprendre ce qui se passe. »

Sixième morceau, central, le mordant « Hurricane », qui donne son nom à l’album, avançant de façon menaçante, un rythme s’éparpillant comme du sable, écrit avec Tricky, Grace la force de la nature, Grace la spécialiste de la météo, Grace qui a besoin de faire sortir les choses à l’air libre, Grace hantée par des choses qui ne la laissent pas en paix.

Chanson numéro sept, « Love You To Life », délire onctueux,  ne me demandez pas si je mourrais pour vous, est-ce que vous prieriez pour la disparition de quelqu’un, s’il n’y pas de lois, il n’y a pas de crime, « j’ai eu une relation avec quelqu’un qui est mort et qui me l’a reproché. Il a été ramené à la vie. Vous savez, nous nous sommes séparés, il a fait une overdose, boum, mort pendant quelques minutes, il est revenu à la vie, m’a hurlé dessus… très, très intense. Alors, je pensais à la façon dont on peut parfois se sentir immortel, quand on pense que quelle que soit la hauteur à laquelle on plane, même si on fait une overdose, on ne mourra pas… et ça parle de comment on peut prier pour que quelqu’un meure, parce qu’on n’en peut plus, et comment on peut prier pour que quelqu’un revive, parce qu’on se sent coupable. »

Huit, « Sunset Sunrise », la préférée d’Eno, écrite par son fils, Paulo, pour l’un de ses anniversaires, « Je ne me souviens pas lequel… il devait avoir 17, 18 ans. Il y a peut-être neuf ans. Ça pourrait être moins. Il y a sept ans. Certains disent que c’est une chanson écologiste, mais ça n’était pas du tout l’intention de départ. Elle parle de partager et de ne pas s’entretuer pour quelque chose qui n’appartient à personne, mais qui appartient à tout le monde. Ça n’appartient à personne parce que ça sera toujours là quand nous aurons tous disparu.”

Numéro neuf, « Devil In My Life », terreur et audace, le dernier morceau, le premier titre qu’Ivor a joué à Grace il y a cinq ou six ans, qui a ravivé sa passion et son envie de faire ou refaire un nouvel album, parce qu’il a redonné vie à toutes ces autres chansons sur lesquelles elle travaillait depuis des années, placé à la fin de l’album parce qu’aussi lourd et sombre qu’il soit, « il y a là un rayon de soleil, quelque chose de positif, et ça dit à la fin du disque que les choses ne s’arrêtent pas, ça dit qu’il y autre chose à venir… c’est le morceau qui a vraiment tout déclenché et m’a fait penser, wow, je vais vraiment aimer ça.  Je pense que ce titre est le début du prochain album. »

Il ne s’écoulera donc pas vingt ans avant le prochain album ?
« Absolument pas, je vous le promets. »

 C’est votre premier album depuis – ça paraît bizarre de dire ça, presque deux décennies.
 « Oui, presque, n’est-ce pas? Je ne compte pas, mais quand vous dites deux décennies… mmm… Je pense que ça doit plutôt faire une décennie et demi, mais je ne sais pas, puisque je ne compte pas. Je ne compte pas mais d’autres personnes le font. Vous avez peut-être bien raison. Ça pourrait entrer dans le Guinness book des records comme le temps le plus long séparant deux albums. »

Mais il y a une intemporalité dans le fait que, même si vous n’avez pas fait de disque depuis je ne sais combien d’années, celui-ci semble tout simplement avoir sa place dans le monde moderne – votre voix et votre rythme n’ont pas du tout vieilli.
 « Et bien, je n’essaie pas de suivre la mode, d’être à la page. Je pense que c’est pour ça. Si vous n’essayez pas de suivre, vous ne sonnez pas comme si vous essayiez, ce qui serait une erreur. Vous sonnez simplement comme vous-même, comme l’instant présent. C’est important que nous n’ayons pas travaillé en suivant une quelconque formule industrielle de ce qu’est le son Grace Jones. Nous avons simplement trouvé ce que nous cherchions, tous les musiciens ont trouvé leur voie, et ils l’ont suivie là où elle semblait nous mener, là où ma voix emmenait la musique et où la musique emmenait ma voix. Dans la direction où tout le monde se dirigeait. »

Une façon dont les gens vous perçoivent, c’est que vous êtes votre propre œuvre d’art. C’est presque comme si vous n’aviez besoin de rien faire en soi, puisque vous êtes Grace Jones. Mais finalement, cette impression pourrait se dissiper. Et de façon évidente, peut-être que si vous n’aviez pas fait de nouvel album, cette perception aurait pu décliner. Au bout du compte, vous deviez faire un nouveau disque.
« Dans une certaine mesure. Je pense que vous pouvez facilement faire un autre disque, encore un autre et encore un autre, et être oubliée après chacun d’entre eux. Et donc le fait que – je ne l’ai pas planifié, mais mon catalogue continue de s’enrichir et les gens le samplent, ou en reprennent des morceaux, il a une vie de plus en plus importante sur internet. Pour moi, une fois que ceci commence à se produire, on ne peut en aucune façon décliner. Donc je ne m’inquiète jamais de ça, ou des gens qui se demandent si je suis vraiment morte ou pas, parce que je pense qu’au bout du compte, ça rend plus intrigant le fait qu’ils finissent par découvrir, oh il y a quelque chose de nouveau. D’où cela vient-il ? Elle est en fait en train de refaire surface. Et le fait est que ça a un rapport avec la qualité de la musique. Je pense que la qualité surpasse toujours la quantité. Donc ce n’est pas une affaire d’époque, mais de qualité de ce que vous faites. Si le nouveau truc que vous faites possède une qualité, le temps que ça vous a pris n’a aucune importance. »

Mais quand vous faites finalement un disque, vous avez ce truc derrière vous et vous devez, dans une certaine mesure, être à la hauteur. Ces morceaux classiques, qui viennent des seventies, des eighties, ont changé la façon dont les gens écoutent une certaine musique, c’est votre contribution au glamour de la pop music. Et vous devez donner une suite à ça.  Est-ce parfois quelque chose d’intimidant, de penser, bon je ne veux pas revenir à la Grace de 1981, je ne veux plus être cette vieille Grace ?
« Oh, ça n’arrivera jamais. »

Non, mais ça pourrait, n’est-ce pas? Ça arrive à certains.
« Non, je ne pense pas. Je veux dire, j’attendrai jusqu’à ce que j’aie vu ces gens et que je les aie entendus dire ça. Mais je ne pense pas que ça puisse jamais m’arriver, parce que j’ai toujours regardé vers l’avant, très loin dans l’avenir. Quoi que je fasse, je vois très loin. »

Que voyez-vous ?
« Je vois dans l’avenir, en fait. Je me vois dans le futur. C’est comme si je me lançais pour attraper quelque chose qui est devant moi, que je sens là. Je ne dis pas que j’ai un sixième sens, ce qui est parfois le cas, je ne veux pas parler de ça. J’ai toujours été hors normes. Donc, il est impossible de me mettre dans une case, puisque j’ai toujours été en dehors des cases. Et ça vaut aussi pour tout ce que je ferais, ça sera en dehors des cases. Donc, ça ne m’arrivera jamais parce que je dirais simplement que je n’ai pas été conçue comme ça. C’est aussi simple que ça. Donc, en un sens, ça n’a pas d’importance qu’il ait fallu 10, 15 ou 20 ans, parce que la musique et moi sommes toujours proches. Ça ne ressemble ni au passé ni au futur. Ça ressemble à maintenant, quelle que soit l’époque. Mais il y a eu un effort conscient de ma part pour arrêter, quand j’ai arrêté… »

Un effort pour arrêter de faire des disques?
 « Quand j’ai arrêté, oui. »

Et pourquoi cela ?
 « Je suppose qu’à un moment tout s’est plus ou moins désagrégé. Chris Blackwell et moi nous sommes réunis et nous avons décidé que, oui, tu sais, nous avons trop de petits problèmes. Les choses tombaient en morceaux. Je ne me frappe pas, je ne me tape jamais la tête contre un mur qui ne cède pas. Pour moi, ça veut juste dire, tu sais, ce n’est pas le moment. Ce n’est pas le bon moment pour ça. Et ça n’a pas été le moment pendant un certain temps. Quand tu en arrives au point où tu essaies vraiment, ce n’est pas comme si tu n’essayais pas, tu essaies vraiment, tu y mets ton cœur et ton âme, et il n’y a rien de plus douloureux que quand c’est saboté ou que d’autres éléments entrent en jeu et empêchent le processus créatif d’avancer. 
Et quand ça se produit, que ça devient une lutte pour simplement le faire avancer, il n’y a plus la spontanéité si importante, la magie nécessaire – quand ça cesse de se produire, ce que tu vas obtenir au bout du compte, c’est quelque chose que tu ne vas pas aimer et que personne d’autre ne va aimer. Tu vas devoir le faire consommer de force aux gens et ce n’est bon pour personne. Et musicalement, maintenant, c’était le bon moment pour faire cet album. Il y a eu quelques anicroches, mais pas trop, parce que, fondamentalement, nous l’avons fait nous-mêmes.  Quand je dis nous-mêmes, je veux dire que je l’ai coproduit avec Ivor. Nous avons pris notre temps pour le faire, comme nous voulions le faire, et ça a coulé, c’était magique et nous n’avons pas besoin de le faire consommer de force à qui que ce soit, vous voyez ? »

Quand vous ne faisiez pas de musique, même si nous allons être très approximatifs sur la façon de définir cette période, cela vous manquait-il ? Pensiez-vous, eh bien, c’est à l’origine principalement ce qui me définit pour le public et maintenant, pendant un long moment, je ne le fais plus?
« Non, ça ne m’a pas manqué, parce que je faisais d’autres choses, comme écrire des films, réaliser, vous savez, j’ai fait des sortes de concerts privés underground, des tournées, un peu de musique pour deux films, j’ai fait de la musique dans des domaines où c’était agréable, en dehors du monde des grosses boîtes – vous savez, ces maisons de disque style big brother qui vous surveillent dans votre dos et changent parfois ce que vous voulez faire.
Et donc, ça ne m’a pas vraiment manqué parce que j’en faisais un peu, suffisamment pour alimenter mon désir. Et je savais que le temps viendrait où ça serait plus facile pour moi, beaucoup plus amusant, beaucoup plus expérimental et beaucoup plus artistique, parce que je pense avoir mûri artistiquement au cours de cette période. Suffisamment mûri pour savoir ce que je voulais faire musicalement et pour savoir si je pouvais vraiment me le permettre et me le payer moi-même. C’est bien souvent la grande question. Ce n’est plus, oh oui, je veux faire ça, il faut faire venir des gens pour financer et tous ces trucs. »

Même si de l’extérieur, ça semblait avoir été une longue période d’inactivité ?
« Oh oui, des gens pensaient que j’étais morte. As-tu cessé de respirer ? J’ai fait le Graham Norton Show une fois [rires] -  ce qui est amusant, c’est que je faisais toujours quelques trucs genre talk shows, donc je refaisais surface de temps en temps… »

Parce que vous étiez une célébrité.
« Oui, je suppose qu’on peut appeler ça comme ça, vous savez, certaines personnes veulent juste vous voir; elles se fichent que vous ayez un disque ou de ce genre de choses. »

Vous étiez celle qui avait frappé l’animateur d’un talk show.
« Oui, oui, vous avez raison. Mais je suppose que c’est comme ça, j’ai un public qui se fiche pas mal de savoir si j’ai fait un nouveau disque, je remplis toujours les salles de concert. Je n’avais pas besoin d’en faire des grandes, je gardais toujours ce statut de célébrité où – vous savez, les gens sont toujours intéressés. Je suis difficile à dénicher mais si vous me voulez vraiment, vous pouvez me trouver. Mais je savais aussi que sortir un disque est la clé de tout le reste, c’est comme une locomotive. »

Il est, d’une certaine façon, autobiographique, n’est-ce pas, ça nous dit où vous êtes, et relie toutes les Graces entre elles ?
« Oui, exactement. Et même si j’ai été très occupée, j’ai fait du cinéma, quelles que soient les autres choses artistiques que j’aie faites, que ce soit de la photo, mannequin pour des designers ou autre, la musique doit être une partie de ce que je suis. J’aurais pu en faire beaucoup plus mais non, vous savez – c’est pour moi une façon d’aller encore plus vers le mélange de tout ce que je suis. Et j’aime le visuel lié à la musique – j’aime la réalisation, j’en ai fait un peu. Mais la clé se trouve toujours dans la musique.  Et c’est là que Wall of Sound est arrivé, nous étions sur la même longueur d’onde et nous avons réalisé que, ouais, la musique est la clé. Parce que c’est toujours l’unique chose centrale, je peux aller chanter sans nouveau disque, mais avec un nouveau disque que j’adore, je peux y aller vraiment, ne pas avoir peur de faire des interviews et faire partie de ce qui se passe, mais comme je le veux, parce que je sais que ce que j’ai fait est fort et puissant. »

En l’absence de disques, la plupart des gens vous catégorisent comme – pas nécessairement un personnage amusant, mais comme un genre de personnage qu’ils peuvent simplifier.
 « Oui, comme une bd, une caricature de moi-même ? J’ai toujours su ça, je n’ai jamais voulu aller vers ça, mais tous les autres veulent m’y emmener. Et j’ai toujours – quand je vois que ça arrive, je vais simplement dans la direction opposée. Mais je sais que je suis tout à fait à la limite de la caricature, de la bd. Une bd de moi ne me dérangerait pas, en fait, c’est ok. Mais si je ne contrôlais pas cette bd, alors ça m’ennuierait. Je la verrais arriver et je dirais non, non, ce n’est pas moi. Ce n’est pas à quelqu’un d’autre de faire ça. Dès que les gens croient qu’ils m’ont compris, j’aime ébranler cette idée. »

Pensez-vous que les gens veulent faire une bd, une caricature de vous parce que, d’une certaine façon, vous êtes si vague, si peu spécifique, vous êtes tellement à la croisée des chemins, que c’est en fait assez effrayant et qu’ils ont besoin de vous représenter comme un personnage comique ?
« Oui, je suppose – oui, ça rend ce qui est effrayant plus facile à supporter pour eux, en fait. Ça leur fait y accorder moins d’importance. Ils peuvent plus ou moins en rire et dire, oh non, ça n’est pas sérieux, vous savez. »

Qu’est-ce qu’ils tournent en plaisanterie ? Qu’est-ce qui est si menaçant ?
« Et bien, ils tournent en plaisanterie ce qui leur fait peur. Vous savez, parfois, quand vous êtes un peu effrayant pour certaines personnes, c’est ce qu’ils font. Parce que je ne suis pas effrayante – les gens qui me connaissent vraiment savent que je ne suis pas effrayante. Mais je fais très bien semblant d’être effrayante. Je suis très bonne pour faire peur. »

Pourquoi faire ça ?
« En fait, je pense que c’est probablement en raison de la façon dont j’ai été élevée. Parce que, vous savez, j’ai été élevée d’une façon très, très stricte. J’ai été élevée de façon effrayante. Et c’est probablement pourquoi ma personnalité possède ce côté effrayant. J’ai finalement réalisé pourquoi je suis comme je suis et ce côté effrayant vient de la partie sombre et anxieuse de mon enfance. Mais je l’ai accepté et compris, et quand je le détourne et que je le présente au public, sur scène ou autre, ils sont tout aussi effrayés que je l’étais quand j’étais petite. »

Ok, c’est donc un peu thérapeutique…
 « Oui. »

…Vous dites, regardez ce qui m’est arrivé, c’est ce que je pensais que je voyais ?
 « Merci, c’est ça; voici à quel point j’étais effrayée, oui. » 

Aimez-vous faire peur aux autres ?
 « Oui, en fait, s’ils ont peur – mais c’est quelque chose dont ils ne devraient pas avoir peur, en réalité, parce que je suis beaucoup plus modérée que la peur avec laquelle j’ai grandi. Donc, je pense que c’est plus la peur que vous avez en vous qui me rend effrayante à vos yeux, ou à leurs yeux. Ils réagissent à leur propre peur, à leur propre émotion face à cette peur. Je pense que je suis simplement assez franche et que la majorité de mon public apprécie plutôt d’être effrayé. Vous savez, je regarde des films qui font peur, à certains moments, j’aime avoir peur. Je pense que nous aimons tous plus ou moins ça – il y a un certain masochisme dans tout ça – mais la vie est aussi comme ça, vous savez. Et je crois qu’on doit en quelque sorte – vous savez, j’y ai fait face, comme vous dites, d’une façon thérapeutique et ça fait partie de moi, vous voyez ?  Donc je l’utilise de façon théâtrale. Je pense que le fait que je fasse ça la rend en fait encore plus spéciale. »

Qu’est-ce que ça rend plus spécial ?
 « Et bien, ma performance scénique. Je sais que ma performance est spéciale parce qu’elle vient d’un endroit où moi seule suis allée, c’est un endroit réel, plein de cette énergie unique et effrayante. Et je n’ai pas peur de faire sortir tout ça. Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure il s’agit d’un spectacle ou de moi-même. Je pense que beaucoup de gens croient simplement que c’est moi. Mais, en fait, une grande partie de tout ça n’est qu’une représentation. »

Ok, mais où est donc la différence – entre Grace sur scène et en dehors ?
 « Je pense que quand on en arrive au point où je commence à rire sur scène, vous pouvez voir qu’il y a un côté plus doux, que je laisse flotter un peu plus que je ne le faisais précédemment dans mes performances. Comme au Royal Festival Hall – c’est parfois effrayant, mais en même temps, il y a des moments où je peux vraiment toucher les gens et où ils peuvent découvrir un côté plus drôle. Mais je ne sais pas exactement où commence l’un et où commence l’autre, c’est plus ou moins au public de décider – de le reconnaître, parce que je suis totalement spontanée sur scène. Je me laisse guider par la musique et par ce qui me vient à l’âme, et dans les tripes, pendant que je chante. Donc je flotte, je suis ce courant. »

Est-ce parfois difficile, d’une certaine façon, de fixer les choses, de dire, je vais jouer maintenant ? Parce qu’en un sens, vous voulez être plus fluide, d’où le fait que vous ne vous produisiez pas tout le temps, même si vous êtes fondamentalement une chanteuse.
 « Et bien, quand je chante sur scène, oui, c’est tout ce que je suis et ça doit être ainsi, parce que c’est là qu’on sait – la scène, c’est là qu’on sait qu’on joue. Maintenant, sortie de scène, je ne joue pas. Mais je peux le faire en un clin d’œil, si vous le désirez. Je peux dire, ok, en une seconde, et jouer, vous savez ?  Mais généralement, non, quand je ne suis pas sur scène, je ne joue pas. J’apprécie simplement ce qu’on peut appeler, je suppose – les choses normales, être juste une voyeuse. »

La différence est intéressante entre l’auteur et la musicienne passionnée, qui présente une intimité pleine d’assurance et des opinions fortes sur Hurricane, et la fameuse gredine qui a donné une claque à Russell Harty. Il y a une telle différence entre les deux personnages…
« Je sais. Ça doit être une sorte de schizophrénie ou un trouble de la personnalité genre dissociation. Je suppose que c’est ainsi qu’ils appellent ça, maintenant. Moi, j’appelle juste ça être moi. Si je devais l’examiner au microscope, je ne dirais même pas que ça a quoi que ce soit à voir avec le spectacle. C’est juste que je suis constituée de tous ces personnages différents. C’est comme de parler plusieurs langues. Et la façon dont je parle avec toutes sortes d’accents différents. Avec tous les voyages que j’ai faits, je passe d’un accent à l’autre et les gens ne peuvent pas comprendre d’où je viens. Et quand ils me le demandent, je dis, Je suis de l’univers. Et il est possible que nous ayons tous du sang extraterrestre. Nous avons été des extraterrestres et nous le deviendrons à nouveau. Avec Russell Harty, j’étais épuisée, et quand je suis fatiguée, je peux être comme un bébé, quand vous êtes fatigué, et énervé, vous agissez d’une certaine façon. Je pense que ces choses sont en nous, et quand vous grandissez, vous êtes censé contrôler ces émotions. Mais parfois, vous pouvez finir par les contrôler au point de ne plus en avoir du tout. Je trouve ça terrifiant, l’idée de perdre mes émotions. »

A quoi pensez-vous être bonne ?
« Je suis bonne pour me connaître moi-même et me développer. Je suis bonne pour sentir et attirer les gens avec qui j’aime travailler. Je suis bonne pour suivre la route du bonheur. »

Où conduit-elle ?
« Elle va simplement là où elle va. Elle nous mène là où elle va. »

Vous avez dit un jour : 'Ce que je serai dans le futur, seul Dieu le sait. Un avion pourrait me tomber dessus à cette minute même. Si ça arrivait, je serais contente d’avoir fait ce que j’ai fait, et que ça ait un avenir. Je me satisfais de ça.'
« Oui, ça élimine la peur, en fait. »

Quoi ?
« Et bien, souvent, beaucoup de gens ont trop de peurs, ils n’essaient rien de nouveau, ils disent juste, oh, comment peux-tu voyager autant et, oh je déteste prendre l’avion, ou j’ai peur en altitude ou… Un avion peut vous tomber sur la tête. Extinction des feux, boum. Et si ça arrive, vous ne devez avoir aucun regret. Et même pour ceux que vous pourriez avoir, il y a une raison. Vous savez, tant que ce que vous avez fait n’a fait de mal à personne… Parce que nous avons tous probablement quelques petits, ou même quelques gros regrets. J’en ai eu quelques petits, deux ou trois. Ils n’ont plus d’importance, et ce qui est important, je pense, c’est juste de se détacher, et quand l’heure sera venue – quand vous mourrez, vous pourrez mourir heureux. Oui. Et alors vous continuerez à vivre. »

Grace Jones sera sur la scène du Grand Rex pour un concert exceptionnel le 22 Mars 2009.