Concert le 11 octobre à La Maroquinerie

C’est aussi en 2010 que Florent Lyonnet et Antoine Hilaire, sortent le premier album de Jamaica. Produit par l’Américain Peter Franco, collaborateur de Daft Punk et une moitié de Justice, Xavier De Rosnay, l’album No Problem est porté par un single redoutable : I think I like U 2, entendu autant en générique du Grand Journal que pour un spot Renault. Résultat : voilà l’outsider Jamaica qui décolle. Une tournée de presque deux ans, plus de 150 dates dans le monde les attend et le succès se dessine, entre le Japon, l'Europe et l'Australie. Jamaica s’inscrit dans cette tendance simple, logique et partagée par beaucoup : désormais la France pop est ambitieuse. Les meilleurs groupes hexagonaux jouent d’égal à égal avec leurs contemporains anglo-saxons. Une mondialisation heureuse ? Avec son brassage d’influences, la pop du duo en est le meilleur exemple. Surtout au moment d’attaquer le second disque qui a été une excellente expérience, si l’on en croit les intéressés. Sans pression ? « On ne s’est jamais senti aussi légers. On s’est juste dit qu’on allait écrire et enregistrer notre deuxième premier album. » À Paris, l'écriture des chansons de Ventura est nourrie par le projet de commencer le disque à Los Angeles, entre fantasmes d'une culture américaine puisée dans les disques et les films et la réalité aperçue en tournant plusieurs semaines aux États-Unis. "On a souvent joué aux États-Unis pour le premier album et l’Amérique qu’on connaît n’est pas uniquement spectaculaire et hollywoodienne. C’est aussi celle des clubs et des amplis poussés trop fort". Quand ils racontent le mois entier passé avec Peter Franco dans une maison de L.A pour commencer à donner vie à leurs nouveaux titres, Antoine et Florent parlent de découverte au sens premier du terme. "On a pensé, un moment, appeler ce disque Pinta, Nina, Santa Maria, comme le nom des caravelles de Christophe Colomb". Finalement, l’album s’appelle Ventura. Pour ses auteurs, ce nom vaut autant pour la traduction littérale de "chance" ou l’image de la Pontiac modèle 1972 que pour le boulevard du même nom - un des axes routiers les plus visités de la vallée de San Fernando. C’est aussi sur Ventura Boulevard que se trouve la maison transformée en studio par Peter Franco où Jamaica s’est enfermé pendant un mois, entourés d'instruments empruntés à des amis musiciens locaux, parfois chantant pendant que des copains de passage récupèrent des boissons fraîches dans le frigo en direction de la piscine. Le duo reçoit parfois la présence d’invités exceptionnels. Un jour c’est Tunde Adebimpe, chanteur de TV On The Radio, qui pose des vocaux soul et inquiets sur Golden Times. Un autre c’est au tour de Chris Caswell, collaborateur de Paul Williams, de venir prêter main forte au projet et servir quelques arrangements de piano. Enfin, leur ami DVNO écrit et chante avec eux la chanson Goodbye Friday en quelques séances de travail rapides et rieuses. Jamaica repose ensuite ses valises à Paris, où Antoine et Florent se ré-approprient les multiples pistes enregistrées pendant leur expérience américaine, aidés par leur ami réalisateur Samy Osta et son studio, 2001. Les nombreuses couches de musique que Peter Franco les a amenés à accumuler, sous l'influence de son travail récent sur le Random Access Memories de Daft Punk, sont écoutées, triées, arrangées par le duo. Le disque s'exporte ensuite dans le studio parisien Tranquille Le Chat, dont le propriétaire Laurent d'Herbécourt vient de finir l'enregistrement du Bankrupt! de Phoenix. Antoine et Florent trouvent l'endroit parfait pour finaliser leur album : il est baigné par la lumière du jour grâce à trois grandes baies vitrées, caractéristique extrêmement rare et désirable. "Autant No Problem reflète pour nous un côté plus nocturne et club de notre groupe, autant Ventura était appelé à être l'album diurne, l'album lumineux de Jamaica". Le groupe commence par y enregistrer quelques prises, pour finalement ne plus quitter les lieux, ni Laurent d'Herbécourt. Jamaica campe donc dans le 10e arrondissement de Paris et affine avec le producteur ce son imaginé à Los Angeles. La console de mixage Neve qui trône au centre du studio confirme aussi à Antoine et Florent l'intention sonique derrière Ventura, créer une ampleur nouvelle, en mêlant habitudes électroniques du groupe et quasi magie analogique : "Selon l'heure à laquelle on mixait un titre, le son des machines et de la console changeait, elles se chauffaient, elles vivaient. C'est très excitant pour un groupe comme Jamaica, basé sur une approche très digitale". Antoine et Florent sont confortés dans leurs envies organiques par Laurent d'Herbécourt : "Pendant le mixage, il nous a poussé encore plus loin dans cette direction "radio", au sens le plus noble et Fleetwood Mac du terme, celle d'une pop ensoleillée qui cache plus de sensibilité que prévu quand on s'y attarde". Des titres comme Two on Two, Golden Times, All Inclusive ou Ferris Wheeler débordent de cette feel good pop à écouter dans une voiture en regardant l’Océan Pacifique. D'autres morceaux évoquent des pistes nouvelles pour Jamaica, de la post surf music de Turbo ou Same Smile à la power ballad sensible de Rushmore, la main toujours sur le volant. Passer dans l’autoradio, voilà ce qui pourrait aussi arriver à Ventura. Parce que ce disque dégage autant de nonchalance que de sophistication. Parce qu’il joue la carte de la côte Ouest fantasmée, de San Diego à Seattle, sans cesse redécouverte au passé comme au présent. Parce que c’est un disque gigantesque à taille humaine. Sur la pochette de Ventura on voit Jamaica dans un désert devant un mur d’amplis et un avion. Prêts au décollage.