« Ce disque est plus sombre et plus pensif, » dit Joan Wasser de son nouvel album sous le nom de Joan As Police Woman, Damned Devotion (qui sortira le 9 février 2018). « Le titre est indéniablement dramatique mais c’est un sujet avec lequel j’ai fricoté toute ma vie : comment vit-on une vie dévouée sans devenir obsédé ou perdre la raison ? »

Déjà reconnue comme une artiste enthousiasmante en concert et comme une parolière à l’honnêteté frappante, Wasser se dévoile sur Damned Devotion sous son jour le plus cru. Alors que son album de 2014, The Classic, était une émouvante célébration de la vie et The Deep Field, en 2011, un délicieux développement plus maussade, ce nouveau disque la voit dénuder ses compositions jusqu’à l’os, avec un lyrisme brut et des mélodies intemporelles qui rappellent son album ayant reçu tant d’éloges, To Survive (2008), et son premier album universellement applaudi, Real Life (2006). Mais pas simplement dans ses textes.

« Je cherche toujours de nouvelles façons de créer des chansons plus sauvages, plus libres », dit-elle. « L’une des choses que j’ai faites différemment pour ce disque, c’est d’expérimenter encore plus avec la programmation de la batterie : monter et manipuler les beats joués en live par Parker Kindred comme des départs de nouvelles chansons. »

Fondamentalement, explique-t-elle, ces nouvelles compositions ont été écrites de trois façons différentes. Quelques-unes ont été enregistrées comme Wasser l’avait fait par le passé, en apportant la chanson au groupe, en la répétant puis en allant en studio pour l’enregistrer live. D’autres ont été élaborées en utilisant des grooves créés en studio par Parker Kindred à la batterie et Wasser à la basse. « Je retournais dans mon home studio avec des heures de musique, je découpais les improvisations et je créais des chansons à partir d’elles. » Et, enfin, plusieurs chansons ont utilisé ses pistes de batterie programmées comme bases, Kindred et son ami, le brillant claviériste Thomas Bartlett, enregistrant par-dessus.

« Parker, Thomas et moi constituons le cœur de cet album, » reconnaît-elle. « Quatre-vingt dix pour cent des sons qu’on entend sont produits par l’un d’entre nous. Ils ont senti ce que je cherchais sur ce disque, nous étions très soudés. »

Le premier titre de l’album qui sera dévoilé, Warning Bell, est une chanson de regret, tendre et ensorcelante, que Joan a écrite sur le fait « d’être romantique et sur la naïveté qui va avec. Même si je ne veux jamais perdre cette innocence, je me suis parfois retrouvée dans des situations où j’aurais aimé qu’une alarme m’ait réveillée de mon état de rêve. » Elle chante plaintivement le refrain, « S’il y avait une sonnette d’alarme, je saurais, mais je n’entends que de la musique, douce et basse, je ne vois jamais rien venir. »

A propos de What Was It Like, elle ajoute : « Il est clair que je ne peux pas faire d’album sans aborder le thème de la mort. Mes deux pères sont morts depuis mon dernier disque. What Was It Like parle du père avec lequel j’ai grandi, du fait que je lui suis reconnaissante pour sa présence calme et sensible, et en même temps de la constatation que, même si nous étions très proches, je n’ai jamais réellement su qui il était. J’ai eu quatre parents [Wasser a été adoptée enfant] et aujourd’hui, trois d’entre eux sont partis. Les questions que j’aurais aimé leur poser mais auxquelles je n’ai jamais pensé tourbillonneront toujours dans mon esprit. »

Un autre élément notable de ce nouveau disque est l’accent mis sur la syncope. « J’ai passé ma vie à être consumée par le rythme et cette fois-ci, je suis passée à un autre niveau. Quand j’ai commencé à écrire mes propres chansons, ce que j’entendais toujours dans ma tête, c’était la batterie, des motifs de batterie, des reprises de batterie. Les deux premières années de JAPW, j’ai joué en duo avec juste un batteur, Ben Perowsky. En 2007, j’ai commencé à travailler avec Parker Kindred et on a maintenant trouvé une affinité qui s’entend aisément sur mes albums.

« Pour moi, tout vient de la batterie, le battement du cœur ; c’est la pure vérité de dire qu’une musique ne vaut que ce que vaut le batteur. »
Pas besoin d’aller plus loin que The Silence pour comprendre ce que décrit Wasser. Son groove et son rythme, vifs, continuels, lui confèrent une urgence sombre et menaçante. Au fur et à mesure de la progression de la chanson, des psalmodies et des claquements de mains ajoutent à la tension.

« Oui, c’est une chanson politique », convient-elle. « J’ai enregistré les chants de la Marche des Femmes, à Washington. Il y a un fil conducteur sur ce disque, qui parle de communication, de dire haut et fort ce qu’on pense et ce à quoi on croit. Ma maxime, c’est : si ça fait peur de le dire, c’est que tu dois le dire. Le refrain dit, ‘C’est le silence qui émousse la lame’. C’est de ça dont je parle. »

Née en 1970, Wasser a grandi dans sa famille adoptive, dans le Connecticut, avant de partir rejoindre la scène musicale de Brooklyn. Elle avait étudié le violon à l’université et joué dans des orchestres, principalement des compositions néo-classiques pour petits ensembles, et quand elle est arrivée à New York en 1994, elle avait déjà joué avec des groupes art/punk, cherchant à voir jusqu’où elle pouvait étendre les possibilités du violon. Elle a commencé à travailler comme musicienne de séances, collaborant avec des musiciens de rock indépendant, de jazz, de pop, de musique haïtienne, de soul et de R&B, travaillant avec Anohni (Antony and the Johnsons) et Rufus Wainwright. En cours de route, en 2002, elle a créé Joan As Police Woman, baptisée ainsi en hommage à la série policière des années 1970 dont la vedette était Angie Dickinson.

Ses albums précédents ont remporté de nombreuses récompenses, comme le Meilleur Album Rock et Pop aux Independent Music Awards (Real Life) ou l’Album de l’Année de Q Magazine (To Survive). Damned Devotion est son cinquième album sous le nom de JAPW, en plus d’un disque de reprises (Cover) et d’une collaboration avec Benjamin Lazar Davis en 2016 (Let It Be You).

Bien sûr, on connait les heures sombres qui ont alimenté sa mélancolie ; la mort de son amoureux, Jeff Buckley, en 1997 ; le suicide de son ami Elliot Smith en 2003 ; le décès de sa mère quatre ans plus tard. La musique, comme quelqu’un l’a suggéré, est la médicine qui lui a permis de traverser ces moments difficiles.

Assurément, l’intervalle entre The Classic et Damned Devotion n’a pas comporté beaucoup de temps mort, à l’image des précédentes périodes de collaboration avec des artistes aussi divers que Lou Reed, Beck, Toshi Reagon, David Sylvian, Sparklehorse, Laurie Anderson et Damon Albarn.
Cette fois-ci, elle a travaillé avec Sufjan Stevens, John Cale, Aldous Harding, Woodkid, Justin Vivian Bond, RZA, Norah Jones et Daniel Johnston, produit un album pour le groupe écossais de folk avant-gardiste Lau (récompensé aux BBC Radio 2 Folk Awards) et un autre pour son ami de Brooklyn Domino Kirke. La liste pourrait encore s’allonger…

« Je dis oui à presque tout, admet-elle. Je veux juste faire de la musique tout le temps. »

De plus, elle a remplacé Guy Garvey dans son émission 6Music (« C’était un tel luxe de pouvoir réellement passer du temps à écouter de la musique »). Elle a coécrit avec le pianiste Thomas Bartlett (Doveman) la musique d’un film de Brian Crano titré Permission avec Dan Stevens, Rebecca Hall et Jason Sudeikis (qui lui a inspiré la chanson Silly Me sur son nouvel album). Elle a participé au Pieces of Man : The Gil Scott-Heron Project à la Roundhouse de Londres, créant une chanson à partir de son poème parlé, Running. Et elle a poursuivi sa collaboration de longue date avec les stylistes hollandais Viktor & Rolf, écrivant et jouant de la musique pour leurs défilés.

Parmi ses pairs, elle est universellement admirée. En plus de son immense vocabulaire musical, de la beauté de ses mélodies et du fait qu’elle continue à surprendre, c’est ce qui confirme Joan As Police Woman comme une artiste, une collaboratrice et une muse de première importance.

« Aujourd’hui, révèle-t-elle, je peux sans difficulté dire que la musique m’a sauvé la vie et qu’elle continue de le faire. Je suis une passionnée. Ce n’est même pas un choix, c’est comme ça… » Maudite Dévotion.