La chanson qui donne son titre au troisième album de Lisa Mitchell, Warriors, raconte l’histoire d’une bande très unie de gamins de la campagne qui deviennent fous furieux. Mitchell, qui a grandi à Albury, un coin rural de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, les connaît bien – ils sont comme elle et la bande avec laquelle elle trainait plus jeune.

« Cet album est très personnel », dit Mitchell. « Il contient beaucoup de réflexions sur ma propre mythologie – moi, ma vie, pourquoi les choses sont comme elles sont. Et ça a beaucoup à voir avec l’enfance. »

Cette chanson qui se déroule tranquillement est un clin d’œil à ces jalons de l’adolescence qui résistent au temps : les amis, la musique, les voitures, les fêtes, les rêves, et le relâchement glacial de liens autrefois solides. « Même si ‘Warriors’ parle de mon expérience, du fait de grandir à la campagne, ça n’a pas besoin d’être moi physiquement », dit Mitchell. « Ça parle de n’importe qui se sentant un peu à l’écart – tous ces gens qui se comprennent entre eux parce qu’ils veulent à tout prix sentir le pouls de leur époque. Je me souviens de ça. Cet album possède cette énergie à laquelle je rends hommage. »

Bien que Warriors soit déjà son troisième album, l’adolescence de Mitchell est encore de l’histoire récente. À seulement 26 ans, la musicienne s’est constituée un catalogue qui rivalise avec ceux de nombre de ses aînés. Le premier EP de Mitchell est sorti quand elle n’avait encore que 17 ans, son deuxième quand elle en avait 18 ; tous deux étaient des œuvres folk réussies qui nourrissaient des ambitions pop. Son premier album, Wonder, a tenu leurs promesses, en se classant N°6 en Australie et en étant certifié platine. Le suivant, Bless This Mess, offrait un paysage sonore plus large en faisant le lien entre une pop luxuriante à base de piano et des extravagances rock carillonnantes. Et bien que la guitare acoustique demeure l’outil principal de Mitchell pour écrire des chansons, elle a décidé, pour son troisième album, de bousculer ses habitudes.

« Nous nous sommes vraiment débarrassés de pas mal de guitares et de pianos sur cet album », dit Mitchell. Le « nous » auquel elle fait allusion, c’est le producteur américain Eric J Dubowsky (alias Eric J), qui, avant Warriors, n’avait jamais travaillé avec Mitchell. « Ça m’intéressait d’avoir quelqu’un qui ferait quelque chose de différent de ce que j’avais fait par le passé », dit-elle. « C’était rafraichissant. »

Mitchell était particulièrement attirée par le talent d’Eric J pour équilibrer instrumentation organique et influences électroniques, le producteur ayant récemment travaillé avec Chet Faker (Built On Glass), Flume (Skin), et The Rubens (Hoops). Le duo s’est retrouvé autour de références eletropop minimalistes comme Tove Styrke, Sylvan Esso et Blood Orange, s’est installé dans les Hercules Street Studios de Sydney et a enrôlé le batteur Matt Johnson (Jeff Buckley, St. Vincent), le bassiste Rob Calder (Angus & Julia Stone/Passenger), et le fidèle guitariste et collaborateur, Tim Harvey (qui coécrit également avec Lisa en pré-production) pour accompagner les chansons de Mitchell.

Une fois enregistrées, Eric J les a dirigées vers ce que Mitchell entendait dans sa tête. « Nous y avons travaillé très dur », dit-elle. « ‘Est-ce que c’est ça que nous pouvons ajouter ?’ ‘Est-ce que c’est le meilleur son pour ça ?’ » Le producteur ajoutait ou soustrayait, souvent avec des boîtes à rythmes ou des boucles. « Les rythmes inventifs d’Eric, » dit Mitchell, « je les trouve assez imprévisibles, et ça aide quand on fait de la pop. Ils ne ressemblent à rien d’autre. »

Eric J entendait ces rythmes dès le début. « La première fois que j’ai écouté les maquettes de Lisa, tout était plutôt acoustique », dit-il. « Mais quand j’ai réécouté la musique qu’elle faisait à ses débuts, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de beats intéressants. Alors j’ai essayé de trouver la bonne atmosphère pour chaque chanson, et de rendre les beats aussi intéressants que possible, pour soutenir le chant avec une instrumentation minimale. »

Ce que recherchait le duo, c’était une légèreté du groove, quelque chose qui n’était pas auparavant au centre de la musique de Mitchell. Ceci reflète une évolution à la fois dans ses habitudes d’écoutes et dans ses goûts personnels. « J’ai sans aucun doute beaucoup plus dansé récemment, dans ma vie », dit la chanteuse. « Je suis sûre que beaucoup de dance music s’infiltre dans mon écriture. Je pense que cet album est bon pour bouger. »

Une bonne partie de tout ceci est assez explicite. Le premier morceau, « The Boys », raconte en détails une journée ensoleillée où Mitchell a roulé dans Sydney, dans la voiture d’un ami avec d’autres garçons, tous en deuil de la mère d’un pote. Sur un tapis de percussions glissantes et un rythme tranquille et souple, la chanson est un compte rendu littéral de la bonhomie collective qu’on rencontre dans une situation codée. Cette référence court tout au long de Warriors, tout comme l’atmosphère désinvolte de « Unravelling », au sujet de l’enfant d’un ami, et la dynamique troublante de « So Wild », inspiré par l’artiste de Melbourne Vali Myers.

Bien que les beats soient au centre de Warriors, les racines folk de Mitchell sont toujours bien présentes. « What Is Love », « Josephine », et le final élégiaque, « Love, Death x », viennent vous hanter avec la plus sobre des instrumentations, tandis que la guitare acoustique bringuebalante de Mitchell porte un « Warhol » un brin frimeur et l’estival « Where You Are ». Quant à la pulsation purement pop de « I Remember Love », c’est le résultat direct des expérimentations de Mitchell et d’Eric J en studio.

« Un vendredi, pendant la phase de pré-production, Lisa et moi écoutions un tas de chansons pop scintillantes des années 1980 et 1990 », se souvient Eric J. « Nous parlions de la raison qui faisait qu’elles étaient super. Puis le lundi matin, elle m’a envoyé, sous forme de mémo vocal, une esquisse de ‘I Remember Love’. Je l’ai écoutée dans la voiture et je n’arrivais pas à croire qu’elle avait trouvé exactement ce dont on parlait. Nous avons fini de l’écrire l’après-midi même. »

Ce genre d’intuition pour l’écriture d’une chanson est un outil que Mitchell a affuté au cours d’années de voyages et de concerts. Les explorations approfondies de Mitchell, aussi bien locales qu’internationales, ont profondément modifié son point de vue – sa perspective de là où elle vient et de qui elle est.

« En grandissant à la campagne, j’ai développé un vrai respect pour elle et aussi un besoin d’être reliée à quelque chose », dit Mitchell. « Je pense qu’à partir de là, quand je voyage, j’ai l’impression que je suis en train d’essayer de trouver les miens. » Les chansons qui constituent Warriors possèdent en leur cœur une tentative de documenter ces liens. Eric J appelle ça de la nostalgie : « se souvenir de sa jeunesse, de l’amour, d’endroits lointains, de ses rêves. » Mitchell appelle ça des rites de passage personnels.

« La musique a toujours été pour moi un espace incroyable où me sentir comprise », dit-elle. « Chacune de ces chansons vient d’une époque où j’ai connu ces moments – c’est leur essence même. Tous ces moments que j’ai imaginés ou dont je me suis défait, qui m’ont émue. »