Avec Métropole Blues, Malory déroule une mixtape de onze titres exposant l’amplitude de sa palette indie pop. Entre tiraillements intimes et euphories passagères, toujours teintés d’une lucidité désarmante, l’artiste modernise la chanson française à coups de sonorités rap, caribéennes et funk.

À l’écoute de la première mixtape de Malory chez LE LABEL - [PIAS], on oscille en permanence entre le up, et le down. Métropole Blues est une profession de sincérité, écrite, composée, et sans cesse retravaillée ces trois dernières années. On pénètre dans un univers moderne mêlant chanson, musique urbaine, et indie pop. L’atmosphère est tour à tour étincelante ou dark, virevoltante ou écrasante. L’euphorie éthérée des débuts de soirée se conjugue invariablement avec l’inévitable descente aux premières lueurs de l’aurore. À l’insouciance de la vingtaine succèdent les inévitables prises de conscience de la trentaine.

Ce canevas sentimental se tisse au fil des titres, avec des motifs récurrents. Dès « Demain, ça ira mieux », en ouverture, Malory annonce la couleur. Derrière le flow chaloupé et la volupté, on devine en creux les drames et les tourments. C’est la première constante de cette mixtape : elle infuse dans un spleen rétro. « Je suis nostalgique d’une époque que je n’ai pas vécue », aime à répéter le garçon. Ces influences vintages transpirent dans l’esthétisme de ses clips, dans son stylisme, et, bien sûr, dans sa musique. « Margiela Fantôme », « Métropole Blues » (avec Holybrune), ou encore « Résilience », qui clôt ces onze titres sur une note mélancolique (« Écorché vif, je m’endormirai seul, j’ai perdu des rêves, entre les immeubles ») en sont des témoignages évidents. Le chanteur y expose ses failles avec une franchise désarmante. Il vacille, « perdu sur la mappemonde », « envoie des Attrape-Cœurs au milieu des feux de détresse », et assume, en définitive, de se fracasser à l’épreuve du réel et de la solitude moderne.

Mais enfermer Malory dans une posture de poète à l’univers sombre serait réducteur. Lorsqu’il est accompagné, que ce soit avec Yseult (« Morceaux de toi »), Holybrune (« Sexe all night ») ou S.Pri Noir (« Au réveil »), les sentiments se font aériens, les obsessions exaltées, la vibe dansante, funk ou tropicale. Les basses groovent et les riffs de guitare, tout en contrôle, filent l’envie de bouger du bassin. Dans ce tableau nettement plus lumineux, la fraîcheur de Claire Laffut sied merveilleusement à la production sensuelle et caribéenne de ce « 37°2 le matin », ode au chill et à la légèreté, hommage total au film culte de Jean-Jacques Beineix.

L’oreille attentive retrouve parfois les accords dansants-mélancoliques de Michel Berger, comme dans « Morceaux de toi ». Il y a chez Malory une filiation assumée avec certains monstres de la chanson française. Son écriture, précise, taquine et virevoltante, se situe dans la lignée de Bashung ou Christophe. Dans ces productions qui passent de l’uptempo à des sonorités plus lentes, plus soul, la douceur caractéristique de la voix et de la musique demeurent deux piliers inamovibles. Avec « Téléphone Pacifique », le jeune trentenaire semble momentanément réaliser la synthèse de ces deux pôles qui l’écartèlent, et se parle à lui-même (« Ralentis un peu / C’est la ville qui nous jette de la poudre dans les yeux / Ralentis un peu »).

Malory dessine cette mixtape comme on trace un virage dans la vie. Au-delà du numéro d’équilibriste s’affirme un artiste déterminé et sincère, à la pointe de l’époque. Avec Métropole Blues, il confirme que son indie pop s’inscrit dans la veine des Blood Orange, Toro y Moi et autre Miguel, ouvrant une voie entre vintage assumé et ultra-modernité à consonance urbaine, défrichant au passage un territoire encore vierge en France.