“J’ai quelque chose à dire” chuchote Martina, à peine dix minutes après le début de The Blue God, son premier album depuis cinq ans. “Et vous?”
C’est une petite touche bien trouvée – un rappel que pour MTB, la musique est tout autant un défi lancé au public que l’exploitation d’une source créative.
“Pour moi, ce qui est important dans la musique, c’est d’accéder à ces pensées et à ces émotions qui sont sous la surface” explique-telle.
“Ce qui m’intéresse, c’est d’utiliser la musique comme un moyen d’explorer les niveaux émotionnels de notre vie.”
Martina Topley Bird est l’une des grandes originales de la pop britannique. Quand elle a pour la première fois projeté d’étranges ombres vivifiantes sur la musique contemporaine, sur le ‘Maxinquaye’ de Tricky en 1994, pesonne ne s’attendait à l’apparition d’un jeune talent aussi précoce.
L’époque réclamait une Britpop conservatrice à l’esprit rétro. Au lieu de ça, le duo faisait apparaître comme par magie une forme de down tempo intime, semblant pourtant venir d’un autre monde, le chant de Martina agissant comme un voile céleste pour ce génie abrupt de la musique, faisant tomber les critiques à la renverse et tourner les caisses enregistreuses en sur-régime.
D’autres collaborations, sur ‘Pre-Millennium Tension’, ‘Angels With Dirty Faces’ et ‘Nearly God’, ont vu Martina jouer le rôle de contrepoint à la fois musical et visuel pour celui qui était (alors) son petit ami. Etoiles éblouissantes dans un univers terne, ils ont subverti la politique des genres et la pop grand public, leur synergie, telle le jour et la nuit, débouchant en chemin sur des ventes platines.
“C’était une vraie collaboration”, dit-elle de leur association.
“Ces disques sonnent toujours bien aujourd’hui, et c’est ce que vous pouvez espérer réussir de mieux.”
Après une séparation à l’amiable, personnelle et professionnelle, en 1998, Martina a travaillé avec tout le bottin mondain de la musique contemporaine, dont David Holmes, Gorillaz, Primus et The John Spencer Blues Explosion, perfectionnnant au passage son art de chanteuse et d’auteur de chansons.
Pour son premier album solo,’ Quixotic’ (2003), Martina a fait appel à ses amis célèbres, de David Arnold à Josh Homme en passant par Mark Lanegan, pour l’aider à réaliser sa vision sépia. Le résultat - une fusion exotique de soul classique, de rock et de blues nocturne – a dûment été nominé pour le Mercury Prize et a incité Mojo à déclarer qu’il s’agissait d’un “disque sensuel et infiniment inventif.”
“Si vous considérez ma carrière sur le papier, ça ressemble un peu à un hobby” dit-elle en souriant.
“Mais il a toujours été important pour moi d’attendre les bonnes personnes avec lesquelles travailler. J’aime l’idée des collaborations; elles tirent le meilleur de chacun.”
Un tel enthousiasme à voir la musique comme un immense melting pot remonte à son enfance.
“A la maison, quand j’étais enfant, il y avait toujours un bon disque qui passait – n’importe quoi de Womack & Womack à Jimi Hendrix en passant par les Sex Pistols. J’ai vu les Sugarcubes quand j’avais douze ans et après ça, je me suis vraiment branché sur la musique alternative - Faith No More, Jane’s Addiction. Je connais Josh Homme depuis l’époque où il était dans Kyuss.”
Il est tentant d’expliquer la frénésie musicale de Martina comme la conséquence d’une enfance itinérante passée entre Londres, Maidenhead et le Somerset. Pourtant, la muse de Martina est plus complexe que ça; une quête d’identité culturelle qui, les années passant, devient plus pertinente que jamais.
“En tant que mère, j’ai remarqué qu’il n’y a pas de vrais conseils pour les jeunes dans ce pays. Par le passé, la religion fournissait aux gens des informations sur la façon de se débrouiller avec leurs vies. Maintenant, il n’y a plus la moindre instruction, autre que ‘soulez-vous’. Vous finissez simplement par suivre votre instinct. En conséquence, les gens attendent des choses complètement différentes de la vie, et ça cause des problèmes.”
Alors que la grande majorité de la musique moderne présente dans les charts a abandonné l’innovation, la carrière de Martina s’attache à déconstruire le passé et à construire quelque chose d’encore plus fabuleux à sa place.
Alors, avec qui aurait-elle pu s’embarquer de mieux pour son dernier voyage que Brian ‘Danger Mouse’ Burton, le cerveau des situationistes pop Gnarls Barkley, considéré par beaucoup comme le penseur le plus visionnaire de la pop moderne ?
“Brian est un ami depuis longtemps, et nous avons travaillé ensemble sur un morceau pour la première fois en novembre 2005. Nous étions tous les deux tellement excités par le résultat que nous sommes tombés d’accord pour faire tout le disque ensemble. J’avais des tas de chansons avant qu’on commence, mais à la fin je n’en ai gardé qu’une (‘Poison’). A la place, nous avons créé quelque chose de nouveau, à nous deux. Brian est un grand anglophile, et l’album a un son très visuel. Je voulais qu’il soit un manifeste aussi bien sonore qu’au niveau des textes, et avec un peu de chance, c’est ce que nous avons réussi.”
Le résultat, The Blue God – enregistré à LA sur une période de trois mois l’année dernière – voit Martina prendre les fabuleuses contradictions de son passé et les envelopper dans du velours et des feuilles. Avec son environnement musical unique, qui fait fusionner le clinquant Hollywoodien, les riffs psych-pop, les interludes ambient, l’ombre, la lumière et sa marque déposée, la pop au noir, il va choquer tous ceux qui aiment que leur musique soit soigneusement étiquetée. En même temps, c’est une bannière sous laquelle Martina peut livrer ses ruminations sur la condition humaine.
“Un grande partie de l’album parle de la notion de proximité physique et des liens entre les gens. Mon père est mort à l’âge de vingt-neuf ans, et entre l’enregistrement de ‘Quixotic’ et aujourd’hui, j’ai eu trente ans, et j’ai commencé à penser beaucoup plus à la nature des relations humaines.”
Si le hit garanti, “Poison”, la valse à base de Wurlitzer “Snowman” et le joyau pop psyché inspiré par Arthur Lee “April Grove” ne vous donnent pas des fourmillements dans les pieds et ne vous remontent pas le moral alors, pas de chance, vous êtes déjà morts. Ailleurs, “Phoenix”, “Razor Tongue” (avec Money Mark à la basse) et le classique immédiat “Baby Blue” sont d’autres rappels que Martina n’a rien perdu de sa dextérité vocale débridée. Peut-être par-dessus tout, comme le prouve le premier single, ‘Carnies’, The Blue God est-il aussi fondamentalement britannique que les fish’n’chips.
“’Carnies’ parle de combien il est enivrant, enfant, d’aller à la fête foraine et de faire du manège. Vous avez le frisson et vous sentez que vous perdez tout contrôle, il y a une vraie sensation de danger. C’est ce que je voulais capturer. En même temps, les paroles principales sont “Dis ce que tu veux / La vie est trop belle pour être vraie”. C’est ce que je ressens en ce moment. La vie est précieuse – ne la gâche pas.”
De la pop moderne, intelligente, porteuse d’un message de vie pour faire tourner la tête et s’élever le cœur, donc.
Dans un monde de chanteurs pop fabriqués en série, le retour de Martina Topley Bird ne pouvait pas mieux tomber. Elle a quelque chose à dire. Et vous?
Paul Moody, Londres, janvier 2008
Martina Tolpley Bird sera en concert à l'Alhambra le 5 Novembre 2008.