Le mot “contemporain” a connu une nouvelle jeunesse ces dernières années, en désignant un nouveau style de musique instrumentale qui continue à évoluer et à se développer. Dans sa plus simple acception, le mot signifie “appartenir au présent – ou se produire dans le présent” et aussi bien Poppy Ackroyd que sa musique correspondent indubitablement à cette définition. Musicienne de formation classique, Ackroyd est une artiste qui continue à évoluer, ici et maintenant, en utilisant des instruments anciens avec audace et inventivité pour élargir sans cesse son horizon dans de nouvelles directions.

Elle a grandi dans un entrepôt aménagé en open space, en plein milieu de Londres, et la juxtaposition de cet espace avec l’isolement de ses vacances de jeunesse allaient résolument façonner son travail futur, recherche d’un équilibre entre lumière et obscurité, rêche et lisse, insertion de fioritures acoustiques dans des mondes numériques. Ayant appris le piano et le violon classique, Ackroyd a ensuite étudié le piano et la composition à l’université, avant de rapidement commencer à se forger un chemin bien à elle en travaillant avec le très applaudi Hidden Orchestra et en se faisant les dents sur divers projets de composition, notamment des musique de films, de dessins animés, de spectacles de danse et de théâtre. En sortant son premier LP sur Denovali Records en 2012, Escapement, Ackroyd a immédiatement laissé une empreinte. Cet album émouvant est une collection de morceaux uniquement constitués de piano, de violon et d’enregistrements occasionnels de sons de la nature, composés, joués, puis trafiqués et réassemblés à l’aide de divers procédés qui ont façonné ce disque et son travail à venir de façon unique.

Tout ceci, bien sûr, ce sont les faits connus. Mais ce sont des caractéristiques qu’on ne peut pas aussi aisément expliquer qui font de la musique d’Ackroyd quelque chose de si original. Quelqu’un a dit qu’elle ne se contente pas d’ajouter une bande son à l’espace, mais qu’elle l’habite également, changeant la forme des choses, déformant l’atmosphère en créant une musique instrumentale en multiples couches, merveilleusement organique avant d’être doucement démolie par une sorte de magie électronique.

De tels sentiments étaient présents dès ses premiers pas, et si Escapement [échappement] était sa façon de s’éloigner des recettes qui ont fait leurs preuves – et d’entrer dans un nouveau monde postclassique –, le gouffre n’a fait que s’élargir avec le temps. Traçant des pistes similaires à celles de pionniers expérimentaux comme Aphex Twin et Steve Reich, Ackroyd a fait un nouveau bond en avant en tant qu’artiste sur son deuxième album, Feathers, également publié par le label Denovali, qui introduisait des harmoniums, clavicordes, clavecins et épinettes aux côtés des ses instruments caractéristiques que sont le violon et le piano.

Enregistré et produit par elle-même, Feathers est complexe et fascinant, comme un voyage enchanteur dans des univers à la fois tangibles et abstraits, une évolution naturelle et un saut empreint de dignité dans le monde de la musique électronique contemporaine – ce mot, à nouveau.

Avec ces premiers disques comme base, Ackroyd a fait le choix courageux de rejoindre One Little Indian Records en 2017 – le label basé à Londres qui est aussi, entre autre, celui de Bjork. Sa première publication pour ce label, le mini-album Sketches, comprenait six relectures délicates d’anciennes chansons, aux côtés de quatre nouvelles compositions tout aussi épurées, qui annonçaient son projet de nouvel album. Ce nouveau savoir-faire dans le domaine de la composition a conféré une densité supplémentaire à son travail, mettant en valeur les parties les plus délicates de l’œuvre d’Ackroyd, distordues et recadrées dans leur forme originale.

Peut-être est-ce cette nouvelle façon de considérer son propre travail qui a le plus profondément influencé son dernier album, Resolve. Sorti au début de l’année 2018, il marque une fois de plus une nette progression, avec une concoction plus directe mais pas moins fascinante d’ambiances et d’atmosphères, formant ainsi le troisième volet d’un ensemble de trois disques qui mettent en évidence une artiste réellement différente.

“Resolve parle de la détermination à profiter des bonnes choses de la vie tout en faisant face à des difficultés inattendues et éprouvantes,” dit Ackroyd de l’album. “Trouver la lumière dans l’obscurité, affronter la tristesse et la perte de plein fouet, et développer une force intérieure de plus en plus importante,” continue-t-elle, illustrant ainsi assez parfaitement sa propre force de compositrice.

Pour la première fois, sur ce disque, elle a travaillé – et écrit – avec des collaborateurs. On retrouve ainsi sur Resolve Manu Delago (Bjork, Cinematic Orchestra, Anoushka Shankar), Mike Lesirge (Bonobo, Andreya Triana) à la clarinette et à la flûte, et Jo Quail au violoncelle. Leur apport, ainsi que ce nouveau processus d’écriture, laisse une empreinte tangible sur son travail, et le disque ne se présente pas comme un cas particulier, mais comme un sommet s’aventurant au-delà de ses quatre précédentes œuvres déjà très inspirées.

Prise comme un tout, il est difficile de ne pas voir son œuvre enregistrée comme une extension de ses concerts spectaculaires, une composante clé de son talent artistique, qui comprend actuellement des visuels synchronisés (créés par l’artiste Tom Newell), magnifiquement animés par les chansons qui les accompagnent, embellissements luminescents des mondes musicaux si caractéristiques qu’elle crée.
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