La poésie et la littérature de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle décrivirent le plus souvent le monde industriel et ses machines comme des ennemis de l’art. Une autre littérature plus aimable, et ne pouvant se satisfaire de cette déshumanisation, les pensèrent alors intimement voués à l’homme comme chez Zola ou Pasolini. Puis la science-fiction imagina un monde futuriste inspiré des artistes et écrivains tels Jules Verne ou H. G. Wells. La machinerie dévoile alors son âme.
Il n’est donc pas anodin que Sylvain Rifflet ait choisi d’illustrer son album Mechanics d’un dessin de François Schuiten, écrivain et dessinateur rétro- futuriste, amoureux des ciels saturés d’engins volants et sphériques, des mondes conçus comme un voyage imaginé assez loin du temps et inspirés des saveurs du début de la science-fiction.
Un capharnaüm métallique d’anneaux astronomiques où le personnage en manteau rouge – héros volontairement vintage d’un monde à naître – illustre une galaxie musicale faite d’instruments de bois, de métaux, de boîtes à musique, d’objets « faits-maison » et évoque les « petits mécanismes » bien huilés, les constructions complexes et le désordre savamment organisé où rôdent Maurits Cornelis Escher et ses constructions impossibles. Ici la musique est conçue comme une utopie, une vision métaphorique d’un futur imaginé, où l’univers est fantasmé, onirique ou visionnaire, comme pour réinventer un jazz tendance Lukas Vojir.
Sylvain Rifflet a construit la musique de cet album autour de ses influences – on peut citer pêle-mêle, Steve Reich, Moondog, Philip Glass ou Terry Riley – mais aussi autour du son hybride de ses compagnons de route à l’instrumentation singulière : les percussions de Benjamin Flament mélangées à la kalimba ou à la flûte de Joce Mienniel soutenues par la guitare électrique de Philippe Gordiani tissant ici et là des ambiances tantôt oniriques et déconcertantes, tantôt plus post-rock et ciselées, des illusions sonores singulières sur lesquelles le saxophoniste et clarinettiste pose son timbre si personnel se faisant tantôt lyrique, tantôt rythmique ou percussif.
Mechanics se place à la fois dans la continuité du premier album du groupe mais aussi dans la droite ligne de son travail autour de la musique de Moondog (Perpetual Motion – Jazz Village – 2014). Il comporte d’ailleurs des reprises de 2 west 46st et de Elf Dance deux compositions du « Viking de la 6ème Avenue » arrangées pour ce projet. L’album contient essentiellement des compositions de Sylvain Rifflet, une nouvelle version du titre Electronic Fire Gun rebaptisé ici Enough Fucking Guitar, une reprise du Tout dit de la chanteuse Camille et une improvisation collective du groupe.

Sylvain Rifflet : saxophone ténor, clarinette, boîte à musique artisanale
Benjamin Flament : percussions, métaux traités,
Philippe Gordiani : guitares
Jocelyn Mienniel : flûte, kalimba