Son ami Peter Kay a un jour offert à Sharleen Spiteri, la chanteuse de Texas, une brève analyse de son propre personnage. Au cours de sa récente réévaluation des 25 années d’existence du groupe, impressionnantes et remplies de hits, elle a fait une pause pour réfléchir à ses paroles. « Il m’avait dit, ton problème et ton charme sont une seule et même chose – dans ta tête, tu es toujours une coiffeuse. » Pour le détail biographique, rappelons que quand Texas est apparu, dans un monde d’avant les téléphones portables, la Britpop, les comptes email et la télé réalité, Sharleen était coiffeuse-visagiste dans l’élégant salon de Glasgow, Rita Rusk.

Avec les années, Sharleen a appris à apprécier le jugement de Kay. « Je le comprends », dit-elle. « Avoir été coiffeuse m’a vraiment été très utile pour ce que je fais dans le groupe. Ça m’a donné un lien avec les gens. Tu les touches et, même si tu es un étranger, tu changes la façon dont ils se voient eux-mêmes. Ce n’est pas quelque chose qui arrive dans beaucoup de boulots. Tu développes une certaine confiance. Tu deviens une équipe. » Dans la vie, dans l’amour, dans la musique, dans Texas, cette capacité à entrer en communication avec une apparente simplicité et un effet immédiat lui a été très utile, lui permettant de trouver une place unique pour son groupe dans le cœur des gens.
Dans un grand virage artistique, presque littéralement un retour vers le futur, pour l’année du 25è anniversaire du groupe, les membres de Texas se sont fait faire un brushing métaphorique, ont rafraîchi les pointes et retouché les racines de leur catalogue. Une sélection de leurs plus grands hits pop a été réinterprétée sous un angle unique et nouveau. Quatre nouvelles chansons, typiques du truc magique que possèdent Sharleen et son partenaire d’écriture Johnny McElhone pour les refrains indémodables, ont été saupoudrées dans le lot, évitant au projet de tourner à la rétrospective nombriliste. Le duo, couronné par un prix Ivor Novello, a aussi amené de jeunes talents dans l’aventure, en travaillant sur les nouveaux morceaux avec Jack Townes, basé à Glasgow, et avec la chanteuse et auteur compositrice Karen-Anne, de Brighton. Le résultat, c’est Texas à son meilleur, énergique et plein de vie.

Au début de l’été 2014, Sharleen et Johnny ont passé un mois à New York pour travailler en studio sous la tutelle de l’exquise revue soul new-yorkaise Truth & Soul, à la fois un label et une équipe de production, dirigée par Leon Michels et Jeff Silverman. Ces derniers travaillent en réalisant des prises improvisées, live, avec un groupe maison, insufflant aux chansons une fraîcheur dépourvue de tout labeur de studio et redevable à l’esprit du hip hop. L’intention était d’offrir aux plus grands hits de Texas de nouvelles perspectives, fraîches, agréables et agiles ; de les remettre en contact avec leurs racines soul. Les réalisations de Truth & Soul au cours de la décennie passée sont en partie la raison pour laquelle la soul music en est à nouveau arrivée à définir son époque. Après une succession de publications distinguées de Quincy Bright, The Evil D’s et The Fabulous 3, adorées par les aficionados de l’underground, ils ont accédé au succès grand public avec l’album Good Things d’Aloe Blacc. Ils ont également remixé Amy Winehouse et produit Adele. Et ils ont aussi travaillé à distance sur le premier album solo de Sharleen, Melody.

Le projet a été développé dans le studio de Queens des nouveaux producteurs, à une rapidité impressionnante, joué par leur groupe parfait, et a donné à Texas l’occasion d’entendre avec de nouvelles oreilles « Black Eyed Boy », « Halo », « I Don’t Want a Lover », « Say What You Want », « Summer Son », « The Conversation » et de nouvelles chansons dont ils sentaient qu’elles pourraient trouver leur place aux côtés de ces grands classiques. « C’est presque comme si on découvrait qui on était, 25 ans après », dit Sharleen.

Des liens immédiats ont été établis avec l’équipe Truth & Soul, des liens qui laissent entendre que le recyclage plein d’entrain réalisé par Texas en mêlant l’ancien et le nouveau pourrait être tout aussi essentiel pour son avenir que l’avait été l’alchimie parfaite consistant à travailler en 1996 avec des inconnus de Manchester, les surdoués du hip hop Rae & Christian, pour White on Blonde, l’album vendu à des millions d’exemplaires qui a été déterminant pour leur carrière. Quand Sharleen leur a fait écouter le remix par le Wu-Tang de « Say What You Want », Jeff de Truth & Soul lui ont dit qu’ils avaient tourné comme accompagnateurs du Wu-Tang. Le voyage à New York a été tout autant social que musical. « En un mois là-bas, je pense qu’il n’y a eu qu’un soir où on n’est pas sortis. » Quand il a été temps de mixer l’album, à l’automne, dans le studio de Dan Auerbach des Black Keys, à Nashville, Sharleen et Johnny se sont rendus à Memphis la veille des séances en studio, pour une visite spirituelle à Graceland. Ils ont également fait la dernière visite de la journée des studios Sun. « Tu as envie d’ingérer tout ça. »

Tout ceci s’est avéré un terrain fécond pour réinventer la Qualité Texas. Sharleen a un chic particulier pour aborder avec décontraction le sujet du succès de son groupe. Quand elle s’est brièvement amusée à tenir un rôle dans l’émission de télé réalité de Sky, Must Be The Music, en 2010, son collègue juré Dizzee Rascal s’est tourné vers elle impressionné après l’exhibition obligatoire des chiffres de son CV, en lettres de lumière dorées. Six albums numéro un. 38 millions d’albums vendus. Dieu sait combien de billets vendus. « Je l’ai regardé et je lui ai dit, je pensais qu’ils parlaient de quelqu’un d’autre. »

Les éloges doivent être faits quand ils sont mérités. Pour sa première apparition à Top of the Pops en 1989, Texas partageait la scène avec Gloria Estefan, Tanita Tikaram et Living in a Box. Le riff de slide guitare emblématique à la Ry Cooder qui permet d’identifier immédiatement son premier titre caractéristique, « I Don’t Want a Lover », a été lâché à la toute fin de la power-pop des années 1980, au cours d’un troisième été consécutif dominé par Madchester, l’acid house et les pilules du bonheur. À ce moment-là, le groupe était plutôt différent du reste de la pop-culture établie : un garçon manqué chanteuse d’un groupe entièrement masculin, avec des inflexions soul du Sud, des références aux Clash, habillée comme Steve McQueen, refusant le sexe. Aujourd’hui, une chanteuse rencontrerait une certaine résistance en essayant d’entamer sa carrière avec une telle posture et une telle chanson. La grandiloquence lui a été utile.

Sharleen, Johnny, son acolyte pour l’écriture des chansons, et les gars de Texas ont toujours fait les choses à leur façon, un sifflotement confiant accompagnant leur démarche. Ils ont toujours eu la ténacité musicale permettant à leurs mélodies de plaire aux gens. « Tu vois les visages des gens quand tu leur dit [les chiffres]. Parfois mes amis me disent, tu aurais dû t’en vanter un peu plus. Mais je me sens bien de ne pas l’avoir fait. Il n’y a pas de suffisance. C’est une force qui est derrière moi. Je sais que mon placard est propre. »
Au bout du compte, l’important, c’est la musique. S’il y a un élément de stratégie agressive dans le fait de réinterpréter leurs propres chansons de la façon dont ils l’ont fait pour ce nouveau disque, alors soit. Est-ce ainsi qu’ils auraient dû sonner dès le début, avec toute la chair superflue, toute cette production pour la radio, retirée de l’os, pour permettre aux chansons de swinguer avec une nouvelle vie, pleine de soul ? « Le truc c’est que oui, on aurait dû faire ça depuis le début, mais non, on n’aurait pas dû, parce qu’on a toujours simplement fait de la musique parce qu’on adorait ça. Ce qui compte, c’est ce sentiment d’euphorie que j’en retire toujours. »

Si elle reste discrète sur les charmes de son propre groupe, quand il s’agit d’évoquer le pouvoir rédempteur de la musique elle-même, peu de gens sont aussi passionnés que Sharleen Spiteri. « La musique est incroyablement importante. Ce n’est pas de la camelote jetable. C’est la seule forme d’art qui se joue des barrières d’éducation, de statut, de classe, de langue. C’est la seule forme d’art qui fonctionne de cette façon. Un auditeur peut n’avoir aucune idée de ce que tu dis en termes de langage mais ressentir l’émotion, les hauts et les bas, le battement du cœur, le rythme de la vie de celui qui raconte l’histoire. »

En 2015, Texas présentera les résultats de ses 25 années de pop dans un nouveau décor intime : une soirée avec… au cours de laquelle Sharleen parlera de son incroyable carrière, tandis que le groupe jouera en ponctuation, sous la forme d’un ensemble de skiffle de quatre membres. « Ça pourrait être une idée épouvantable », dit-elle. Ou pas. Sharleen pourra parler de Glasgow.

Lors de la promotion de The Conversation, le dernier album de Texas, qui a obtenu un grand succès et été certifié disque de platine, Sharleen a remarqué un nouveau public jeune qui tweetait à quel point il l’aimait. Elle s’est demandée pourquoi, avant de comprendre. « À l’apogée de Texas, quand on passait tout le temps à la radio, les jeunes de vingt ans et quelques qui viennent aujourd’hui à nos concerts étaient des gamins qui nous écoutaient chaque jour dans la voiture en allant à l’école. Pour eux, on est l’équivalent de ce que Fleetwood Mac était pour moi. »

Au bout du compte, chacune de ces 25 années de Texas a valu la peine. « Il faut qu’il y ait des moments où tu n’as pas de succès. C’est bon pour toi. Mais si tu peux arriver à l’étape suivante, qu’on semble avoir atteinte, alors qui sait où ça peut t’emmener ? À ce stade, on fait un grand pas en avant et tout va bien, la musique sonne mieux que jamais, donc voyons où on va aller à partir de là. L’idée, c’est que ça va conduire à un grand voyage Texas, tout en chansons, tout en danses. Préparez-vous à lancer les mains en l’air. » Les pouls sont en train de s’accélérer.