"The Brink" - Sortie le 17 février

Quand on demande à Hayley Mary quelle est, selon elle, la différence entre complexité et accessibilité dans la pop music, elle répond du tac au tac. « Il n’y en a pas, » dit la chanteuse de The Jezabels, « ou du moins, il n’est pas nécessaire qu’il y en ait une. Pour moi, la pop est la plus sombre de toutes les musiques. Si vous considérez non pas ce que les artistes pop font consciemment mais ce qu’ils reflètent du monde, la pop est le truc le plus tordu, bizarre et effrayant qui soit. Si vous voulez étudier la Terre du point de vue d’un extraterrestre, écoutez de la pop music. »
« Quand on écoute une version ralentie de ‘Call Me Maybe’, » ajoute le guitariste Sam Lockwood, « bien sûr, c’est incroyablement beau – mais c’est aussi incroyablement sombre. »
« Ou ‘The Power of Love’ de Jennifer Rush, » continue Hayley, avec un petit rire caractéristique. « C’est grave. La notion de monogamie qu’il y a là-dedans, ‘Je suis ta femme et tu es mon homme’, comme si chacun possédait l’autre : c’est tout simplement à vomir. Des tas de gens interprèteraient ça comme une chanson vraiment légère et ringarde, mais je pense que c’est au contraire très lourd. On se fait tellement piéger par ces histoires d’amour-toujours, tous ces concepts irréalistes, je pense que ça a beaucoup à voir avec des chansons pop comme celle-ci. »
Comme la remarque ci-dessus le montre clairement, The Jezabels est tout autant captivé par le brillant superficiel de la pop que par son côté obscur. Depuis qu’ils sont apparus pour la première fois dans leur Australie natale en 2009 avec le EP The Man is Dead, les quatre amis de collège qui ont formé le groupe ont complètement assumé cette dualité. Deux autres EP – She’s So Hard et Dark Storm – ont préparé le terrain pour la sortie, en mars 2012, de leur premier album, qui allait remporter un ARIA Award (l’équivalent australien des Grammy Awards), Prisoner, un disque qui a fait connaître les nouvelles stars les plus irrésistibles de la pop des antipodes au reste du monde. Une période de douze mois de tournées intensives a suivi, qui a renforcé leur statut auprès de leurs fans du monde entier.
Et maintenant, nous en arrivons au deuxième album : The Brink. Tout juste sorti d’une tournée mondiale, le groupe n’a pas foncé à la plage mais s’est rendu directement en studio. Débordant d’idées, guidés et inspirés par la présence aux manettes de Dan Grech Marguerat (Howling Bells, Keane, The Vaccines), les musiciens sont partis sur les chapeaux de roue. Et, pour tout dire, ils seraient encore en studio aujourd’hui si on les avait laissé faire : quand nous nous sommes rencontrés, la pochette venait tout juste de partir à l’imprimerie, mais Hayley et Sam discutaient encore des titres des chansons et du choix des singles.
« C’est difficile de lâcher, » dit Hayley en riant. « Nous n’aurions jamais pu terminer sans notre manager et ses talents d’organisateur ; il est comme un père pour nous, il nous mène vraiment à la baguette. Nous sommes quatre personnes très différentes qui ont des avis très arrêtés, et nous avons absolument besoin de quelqu’un qui dise, ‘Non, c’est comme ça que ça va se passer’, sinon nous retournerions tout dans tous les sens jusqu’à la fin des temps. »
« C’est difficile, pourtant, » dit Sam, « quand tu as fini, mais que tu sens qu’il manque encore quelque chose ; c’est presque comme si tu étais en deuil. Notre manager nous engueule toujours parce qu’on ne fête jamais les choses comme il faudrait. Mais je ne pense pas qu’il comprenne que le fait de finir quelque chose ne rend pas nécessairement heureux. »

The Jezabels vont devoir apprendre à faire la fête, maintenant, parce que The Brink est l’album qui va les propulser dans la stratosphère. On commence à comprendre ce qu’ils veulent dire au sujet de la difficulté du choix des singles quand, peu après que les guitares carillonnantes, le beat propulsif et le refrain monstrueux de « Look of Love » vous ont pris au piège, ce sont le synthé bavard et pointilliste de l’intro d’« Angels of Fire », un chant d’une extraordinaire beauté et un texte empreint de tendresse et de regret qui s’impriment de façon tout aussi persuasive dans votre conscience – jusqu’à ce qu’arrive finalement la vague de claviers new wave eighties et la montée euphorique de « No Country », et qu’elles s’emparent de votre cœur.
Cette dernière chanson est l’essence même du nouvel album. Ne sacrifiant absolument rien en termes d’immédiateté brutale et de gimmicks accrocheurs, elle les marie à des textes qui se saisissent de sujets personnels comme politiques et à des parties chantées qui sont du pur Hayley, glissant entre les registres, un instant vulnérable, l’instant suivant rebelle. Comme elle l’explique : « Penser à la politique a tendance à me rendre triste et désorientée, dans le meilleur des cas, j’ai donc l’habitude d’éviter le sujet dans les chansons, mais je me suis mise à réfléchir aux gens qui doivent penser que le monde ne se soucie pas d’eux, ou qu’ils n’y sont pas à leur place, et j’ai imaginé que ceux que j’aime doivent parfois ressentir ça. Je voulais juste leur dire que je les aimais. Ça a l’air cucul, d’expliquer ça maintenant, mais à ce moment-là c’était incroyablement sincère. »

Musicalement, The Brink saisit un groupe éperdument amoureux de texture, de dynamique et de subtilité, avec des moments de retenue qui font soudain place à des explosions de couleurs sonores : écoutez le discret changement de vitesse à la Talk Talk entre la fin du refrain du morceau titre et le second couplet ; le clavier de Heather évoquant des gouttes de pluie dans les premières mesures de « Psychotherapy » ; la guitare minimaliste de Sam sur « Time to Dance » ; le jeu de batterie explosif de Nik sur « Beat to Beat ». Sur tous ces titres, Hayley utilise autant sa voix comme un instrument supplémentaire que comme un véhicule pour ses textes complexes et sans concession. Mélangez tout ceci avec des mélodies et des riffs accrocheurs qui squattent votre cerveau, et vous obtenez des chansons comme le single du moment, « The End » – un morceau typique de ce style de textes dévastateurs de Jezabels, qui regardent droit dans l’abîme obscur, et d’une musique qui met le cap sur le centre du soleil. Ou le dernier titre de l’album, « All You Need », sur lequel Hayley arrache une à une les couches protectrices de ses émotions, alors qu’une section de cordes s’élève dans les airs et que ses camarades du groupe jouent comme si leur vie en dépendait. « Quelque chose qui manque » ? Je ne pense pas que Sam ait besoin de se faire du souci à ce sujet.

Maintenant, alors qu’ils acceptent enfin le fait qu’il n’ont vraiment plus le temps de couper les cheveux en quatre, que l’album est bel et bien terminé, et que sa date de sortie approche, Hayley et Sam réfléchissent à ce qu’ils ont créé. Cela les met dans un état d’esprit nostalgique. « A nos débuts, à Sydney, » se souvient Hayley, « il y avait cette scène indé plutôt minuscule, ça n’était pas très sérieux, tout le monde essayait d’être cool, tout était basé sur l’image, et notre réaction a été : ‘écrivons des chansons qui parlent de quelque chose.’ Et puis, trois d’entre nous venaient d’une petite ville, il y avait donc, sans aucun doute, un peu de ‘Oh, regarde, la ville’ ; on n’était pas des gamins des villes, donc on ne se contentait pas de traîner et d’avoir l’air cool. On n’était absolument pas cool. Aujourd’hui encore, il y a toujours plein de groupes plus cools que nous sur cette scène, et c’est très bien comme ça. Il y a des gens qui pensent que c’est contradictoire d’avoir en même temps des opinions et d’être léger. On n’est pas d’accord. On a tous des opinions plutôt arrêtées, mais on est aussi marrant. »

Ce à quoi le manager de The Jezabels pourrait bien leur répondre : « Alors, prouvez-le. » Parce qu’il a raison : le groupe a fait un nouvel album sensationnel. Et il va devoir fêter ça.